Insultes sexistes, menaces de viol ou de mort sur Internet, logiciels de surveillance : un rapport du Haut conseil à l'égalité (HCE) publié mercredi dénonce "la très grande impunité" dont bénéficient les auteurs des violences faites aux femmes sur Facebook, Twitter et Youtube.
7,7% de contenus signalés supprimés. Pour parvenir à ce constat, le HCE a réalisé un "testing" entre juin et juillet 2017 sur ces trois réseaux sociaux. Avec le concours de trois associations féministes (le collectif Féministes contre le cyberharcèlement, la Fondation des femmes et l’association En avant toutes), le Haut conseil a signalé 545 contenus sexistes aux plateformes. Seuls 7,7% ont été supprimés.
Dans le détail : Twitter en a retiré 25 sur les 193 signalés (soit 13%), Facebook en a supprimé 17 sur 154 (soit 11%) tandis que Youtube n'en a enlevé aucun sur les 198 signalés. Un résultat qui conduit le HCE à dénoncer une "modération insuffisamment exigeante, aléatoire et non graduée" de la part de ces géants d'Internet.
Des systèmes de signalements peu efficaces. Cette faiblesse de la modération s'explique par des catégories de signalement "peu claires, qui ne correspondent ni aux infractions prévues par la loi, ni à la réalité des manifestations de sexisme en ligne", souligne le rapport.
Par exemple, les internautes peuvent signaler un contenu en fonction de trois ou quatre critères (contenu "violent", "harcèlement ciblé" ou encore contenu "sexuellement explicite") qu'ils peuvent ensuite préciser, mais ils ne peuvent pas en combiner plusieurs. On ne peut ainsi dénoncer un tweet à la fois violent et à caractère sexuel.
Pas de dispositions contre les "raids". La pratique de "raids", qui consiste à inonder, de manière concertée, un internaute de messages insultants ou menaçants, est elle aussi pointée du doigt. La Youtubeuse Marion Seclin, par exemple, en a été victime après la publication d'une vidéo dénonçant le harcèlement de rue. En juin 2016, elle a reçu "plus de 40.000 messages d'injures sexistes, de menaces de viol ou de mort", rappelle le rapport.
Or les internautes ne peuvent pas signaler plusieurs messages similaires provenant de différents utilisateurs à destination d'un même membre. Il est donc difficile aujourd'hui de dénoncer un cas de "raid".
L'absence de suppression automatique de certains messages comportant des mots-clés récurrents. Sur l'ensemble des insultes sexistes signalées par les testeuses, un tiers comportait le mot "pute". Or seuls 11% de ces posts ont été supprimés. Interrogé par Le Monde, le responsable des affaires publiques à Facebook France explique que le contexte doit être pris en compte "pour ne pas confondre la dénonciation de la violence avec une insulte ; une critique légitime avec une injure interdite." Il s'agit de ne pas supprimer un contenu qui dénonce une violence en utilisant une insulte avec une insulte adressée directement à une personne.
Par ailleurs, il a rappelé que certains mots pouvaient changer de sens, prenant l'exemple du mot "salope" dans le manifeste "des 343 salopes" - le nom donné à la tribune signée par des femmes ayant eu recours à l'avortement.
28 recommandations. Pour mettre fin à ce cyber-harcèlement qui touche 73% des femmes, dont 18% en ont déclaré une forme grave (selon un rapport de l'ONU publié en 2015), le HCE formule 28 recommandations. Il propose, entre autres, de lancer une campagne de sensibilisation et "la première enquête de victimation" sur le sujet. En s'inspirant de l'Allemagne, le HEC recommande également de donner un délai maximum de 24 heures aux plateformes pour supprimer les contenus signalés, sous peine de sanctions.
Les autorités sont également sollicitées. Pour mieux punir les "raids", il est proposé d'adapter la loi sur le harcèlement pour qu'elle puisse concerner "l'action unique mais concertée de plusieurs personnes". Le délai de prescription pour "délit de presse" - les injures publiques et incitations à la haine commises en ligne - pourrait par ailleurs être étendu à trois ans (contre un an aujourd'hui).
Quant aux gendarmes et policiers, ils pourraient recevoir une formation spécifique pour mieux appréhender les cas de "cyber-contrôle dans le couple", c'est-à-dire l'usage par un conjoint d'outils numériques de surveillance et de géolocalisation. Enfin, le HEC demande à ce que les soins somatiques et psychotraumatiques dispensés à toutes les victimes de ces violences soient pris en charge à 100% par l'État.
Youtube "déterminé à faire partie de la solution"
Youtube a tenu à réagir mercredi suite au rapport du HCE : "Grâce à nos investissements, humains et technologiques, nous allons plus loin et plus vite dans la lutte contre l’utilisation abusive de notre plateforme", assure un porte parole de la plateforme. "Nous améliorons constamment nos délais d'examen et d'intervention pour les contenus qui enfreignent nos politiques. Nous avons également mis en place des outils efficaces concernant la gestion des commentaires, donnant la possibilité aux créateurs de les modérer, de supprimer certains mots clés, ou de soumettre les commentaires potentiellement répréhensibles à approbation avant leur publication".
L'hébergeur de vidéo déclare également développer ses "systèmes d’apprentissage automatique, dans le but d'identifier les contenus haineux à grande échelle. Nous avons conscience que nous devons aller plus loin, et sommes déterminés à faire partie de la solution à ces problématiques complexes”.