Le premier jour du procès avait donné le ton. Brièvement appelée à la barre pour connaître sa date de convocation devant la cour, Zoulikha Aziri adressait un baiser de la main à son fils Abdelkader, accusé de complicité des crimes de son cadet, Mohamed Merah. Sur le banc des parties civiles, quelques insultes fusaient. La mère de famille quittait la salle et répondait à la presse, pour défendre celui qu'elle appelle "Kader" : "c'est dur pour lui, parce qu'il n'a rien fait". Près de trois semaines plus tard et alors que peu de réponses sont venues apaiser leur douleur, les proches des victimes ont finalement laissé éclater leur incompréhension lors d'un deuxième face à face extrêmement tendu avec la sexagénaire, mercredi.
"Mohamed, ce qu'il a fait, c'est très grave". Le propos liminaire est extrêmement bref. "Je parle pour mon fils Abdelkader. Il n'a rien à voir pour l'histoire qui s'est passée (sic). Mohamed, ce qu'il a fait, c'est très grave. Mais je n'avais rien remarqué sur lui : il était normal, et d'un coup, la bombe, elle a éclaté. Je présente mes excuses auprès des victimes. Je demande pardon." Zoulikha Aziri n'a déjà plus rien à dire. Elle pose sa main droite sur la barre, s'accroche de la gauche au bras de son interprète. Au milieu des costumes sombres de la cour, on ne voit que sa longue robe blanche et le foulard jaune qui recouvre ses cheveux.
" Abdelkader ne posait pas spécialement de problèmes "
Le président reprend la main et guide le récit. Zoulikha Aziri arrive d'Algérie en France en 1981, pour rejoindre son mari, "qui s'appelait lui aussi Mohamed Merah". Ses aînés, Abdelghani et Souad, sont déjà nés. Suivront Aïcha, Abdelkader et Mohamed. "Il y avait un climat de violence, mon père nous frappait énormément", a témoigné le plus âgé de la fratrie devant la cour. La mère de famille nie en bloc : "Non, non, non." N'a-t-elle pas momentanément rejoint un foyer pour femmes battues ? "J'ai pris mes enfants et je suis partie, oui, mais c'est la famille qui me montait la tête."
La "double personnalité" de Mohamed Merah. Les parents divorcent, et "les choses deviennent difficiles", poursuit Zoulikha Aziri. Depuis le box, Abdelkader Merah ne quitte pas sa mère des yeux. Elle déroule : "mon fils Abdelghani a commencé à boire, à fumer, à voler des choses. Il était beaucoup violent (sic)". Et Abdelkader ? "Normal. Il ne posait pas spécialement de problèmes. On a juste dû le placer dans un foyer un moment." Le président lit les multiples rapports qui établissent la violence adolescente de l'accusé. Elle répète : "normal". Quant à Mohamed : "quand il était petit, il n'arrêtait pas de me dire : 'je sens que j'ai une double personnalité'. Il était fou." Aucun des experts qui l'ont examiné à l'époque ne confirme. Sur le banc des parties civiles, une voix souffle : "Quelle famille…"
" C'est moi qui lui ait appris à faire la prière "
Comprenant "presque tout" en français, Zoulikha Aziri est tentée de répondre avant que son interprète n'ait achevé de traduire, créant un sentiment de cacophonie. Elle parle d'abord d'Abdelkader : "c'est moi qui lui ai appris à faire la prière, à partir de 2006". La même année, son fils lui fait part de son souhait de partir apprendre l'arabe en Algérie. "Je lui ai dit va en Egypte, l'Egypte, c'est mieux." Pendue à la barre, la mère ne regarde pas l'accusé, mais le décharge systématiquement.
"Qui était derrière votre freebox ?" Puis, elle passe à Mohamed. "Quand il est sorti de prison en 2008, il était dans l'extrême de la religion. Il ne ratait pas une prière, il lisait le Coran, il s'est mis à acheter des habits religieux." L'a-t-elle déjà vu montrer des scènes de décapitation en vidéo, comme l'ont rapporté plusieurs témoins ? "Non, jamais je n'aurais accepté ça." A-t-elle pensé au djihad lorsqu'il lui a annoncé son départ pour le Pakistan, à l'été 2011 ? "Non. J'ai pleuré, mais parce que c'est un pays de guerre", répond-elle des sanglots dans la voix.
" On n'a rien contre les Français, ni les Arabes, ni les Juifs "
Les questions concernent à nouveau les deux frères lorsque le président évoque la soirée du 4 mars 2012. Les experts sont formels : à 23h08 et 23h11 ce soir-là, c'est bien depuis "l'intérieur de l'appartement" toulousain de Zoulikha Aziri que l'annonce postée par Imad Ibn Ziaten sur leboncoin a été consultée. Une semaine plus tard, le militaire, qui n'avait pas caché sa profession aux faux acheteur, était la première victime de Mohamed Merah. "Alors, qui était derrière votre freebox ?", demande le président. "Il n'y avait personne, j'étais toute seule devant la télé", répète la mère de famille. Dans les rangs des parties civiles, un homme frappe ses genoux avec ses mains et grommelle : "c'est un mensonge."
"Tous mes médecins, c'est des juifs". Les questions sur le choix des cibles du tueur au scooter n'apaisent pas la salle, "extrêmement tendue", de l'aveu même du président. Les enfants Merah ont-il grandi dans un climat d'antisémitisme, comme l'ont raconté plusieurs de leurs proches ? "On n'a rien contre les Français, ni les Arabes, ni les Juifs. Tous mes médecins, c'est des juifs", lâche Zoulikha Aziri, quelques noms à l'appui. "Ça m'énerve, parce qu'on m'accuse de tout."
" C'est la mère d'un accusé, et c'est aussi la mère d'un mort "
Et puis, trois heures après le début de l'audition, Me Mouhou, avocat de la famille d'Imad Ibn Ziaten, revient sur la connexion du 4 mars. A la barre, la sexagénaire s'agace de répondre aux mêmes questions, capitales aux yeux des parties civiles. "Ce qui a été dit par les techniciens n'est pas vrai, j'étais seule", s'époumone Zoulikha Aziri. Et d'avancer, malgré l'impossibilité technique : "Mohamed avait mes codes, il a pu se connecter ailleurs." L'avocat lève les yeux au ciel.
"Vous n'avez pas honte ?" Depuis les bancs de la défense, Me Dupond-Moretti reproche à son confrère de tourner en rond. "C'est indigne, les conditions dans lesquelles on interroge cette femme." Me Mouhou hausse le ton : "Les familles ont le droit de connaître la vérité, elles l'attendent depuis cinq ans ! On interroge la mère d'un accusé." Et l'avocat d'Abdelkader Merah de répliquer par la phrase de trop : "C'est la mère d'un accusé, et c'est aussi la mère d'un mort."
Sur le banc des parties civiles, un grand gaillard tremblait depuis quelques minutes et éclate finalement en sanglots. C'est le frère d'Imad Ibn Ziaten. Il se lève et hurle : "Vous n'avez pas honte ?" Son avocat s'approche pour l'accompagner hors de la salle. "Vous êtes de la merde, voilà ce que vous êtes. Bande d'assassins", assène-t-il dans un dernier regard à la cour. Sur un ton plus apaisé, Me Dupond-Moretti clôt un interrogatoire que plus personne ne semble oser poursuivre : "les larmes s'additionnent, et on ne peut pas les opposer. Comme dit Camus, entre la justice et son fils, Madame Aziri a choisi son fils."