Trop sexiste, le festival d'Angoulême ? Après Riad Sattouf mardi, c'est au tour de Joann Sfar, Daniel Clowes, Etienne Davodeau ou Charles Burns de s'auto-retirer de la liste des auteurs de bandes-dessinées nommés pour le Grand prix du festival d'Angoulême. Mardi, le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme avait appelé au boycott de ce prix, dénonçant une "discrimination évidente". Et pour cause : la liste des trente noms en lice pour cette distinction attribuée aux auteurs pour l'ensemble de leur œuvre ne comporte aucune femme.
Mise à jour le 6 janvier à 16h40 : Face à la polémique, le festival de BD a décidé de revoir sa copie et d'introduire "des noms d'auteures dans la liste des sélectionnés au titre du Grand Prix 2016", ont annoncé les organisateurs par communiqué mercredi après-midi.
>> Mais aurait-il pu en être autrement ? Oui, même si le monde de la BD reste encore très masculin. Décryptage.
Qu'est-il reproché au Festival d'Angoulême ? "Il se trouve que cette liste ne comprend que des hommes. Cela me gêne, car il y a beaucoup de grandes artistes qui mériteraient d'y être", a détaillé le dessinateur Riad Sattouf sur Facebook, pour justifier son geste. "Aucun auteur ne peut souhaiter figurer sur une liste entièrement masculine. Cela enverrait un message désastreux à une profession qui de toutes parts se féminise", lui a emboîté le pas Joann Sfar. Les deux auteurs rejoignent ainsi le point de vue de plusieurs associations, selon lesquelles la féminisation actuelle du monde de la BD justifie le boycott de ce Grand prix.
"On en revient à la notion de plafond de verre, toujours aussi désastreux : on nous tolère mais pas en haut de l’affiche", s'indigne ainsi le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, auquel plus de 150 femmes auteurs de BD ont adhéré. Un plafond de verre qui n'a pas lieu d'être au vue de la parution, cette année, "d’excellents albums signés par des femmes", selon Chantal Montellier, la présidente de l’association Artemisisa, citée par Le Monde. Et le quotidien du soir de citer : le Piano oriental (Casterman) de Zeina Abirached, California Dreamin’(Gallimard) de Pénélope Bagieu, le Glenn Gould, une vie à contretemps (Dargaud) de Sandrine Revel ou encore Fatherland (Ici même) de Nina Bunjevac.
Dans les faits, un monde encore très masculin. Mais selon la direction artistique du Festival d'Angoulême (majoritairement mais pas exclusivement masculine), qui a établi la liste, cet argument ne tient pas. Car le Grand prix ne récompense pas "l'album de l'année" mais l'ensemble de la carrière de l'artiste. L'album de l'année, lui, est récompensé dans le cadre de la "sélection officielle" du festival. "Sélection officielle" qui compte bien plusieurs femmes cette année (environ un quart).
"Le concept du Grand Prix est, lui, de consacrer un auteur pour l’ensemble de son œuvre. Quand on regarde le palmarès, on constate que les artistes qui le composent témoignent d’une certaine maturité et d’un certain âge. Il y a malheureusement peu de femmes dans l’histoire de la bande dessinée. C’est une réalité", se défend ainsi Franck Bondoux, le délégué général du Festival.
Une "réalité" encore attestée par des statistiques : d’après un rapport de l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée (ACBD), les créatrices représentent 12,4 % des professionnels de la BD. En 42 ans de festival, d'ailleurs, une seule femme a réussi à s’incruster parmi les lauréats des grands prix : Florence Cestac. L'an dernier, Marjane Satrapi (auteure de Persepolis), seule femme en lice pour le Grand prix, avait terminé dernière après le vote de ses pairs (dans le cadre du "Grand prix", c'est la direction artistique du Festival qui compose la liste. Puis l'ensemble des auteurs ayant publié un album francophone vote).
Une "erreur symbolique". Toutefois, même s'il y a encore moins de femmes avec une carrière longue, cela ne signifie pas non plus qu'il n'y en a aucune. Et de l'avis de plusieurs observateurs, plusieurs créatrices mériteraient bel et bien leur place dans la liste du Grand prix. D'autant qu'il n'y a pas de quotas pour les nommés, et que la liste pouvait contenir plus de 30 noms.
Rumiko Takahashi, Julie Doucet ou encore Anouk Ricard… "On peut facilement trouver dix ou vingt femmes méritant de figurer sur la liste. Elles ne le mériteraient pas plus que les hommes qui y sont déjà, mais elles le méritent autant. C'est une erreur symbolique de la part du Festival de ne pas en avoir nominé", analyse ainsi Mathieu Charrier, journaliste Culture à Europe 1 et membre du comité de la "sélection officielle" du Festival, qui récompense les albums de l'année. Face à la polémique montante, la direction du Festival pourrait d'ailleurs, dans les prochaines heures, modifier sa copie.