"Un petit bonjour à notre ami Alain. Tu nous manques, Alain." C’est par ces mots que, le 1er mai 1994, Ayrton Senna a entamé son warm-up, quelques heures seulement avant le Grand Prix de Saint-Marin qui allait lui être fatal. On découvrait alors que la relation entre les deux hommes avait changé de nature depuis que le quadruple champion du monde français avait pris sa retraite à la fin de la saison 1993.
"Les six derniers mois, entre mon dernier Grand Prix en Australie, où nous étions tous les deux sur le podium, et ce 1er mai 1994, ont été totalement différents. Lui a été différent par rapport à moi surtout. De ce podium-là, il a été une autre personne", raconte Alain porst au micro d'Europe 1."Et j’ai compris pendant ces six mois qui il était vraiment et pourquoi il était comme ça, et ça m’a, d’une certaine manière, presque conforté, et même presque valorisé parce que j’ai compris que sa grosse motivation, et peut-être même la seule, c’était de me battre. Quand je suis parti, il n’avait plus de motivation ou en tout cas pas la même."
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"Une perception différente". La plus grande rivalité de l’histoire de la F1 s’est concentrée sur trois saisons. Elle a débuté quand Senna a rejoint Prost, déjà double champion du monde, chez McLaren en 1988. Elle a atteint son apogée en 1989 avec ce fameux accrochage à la chicane du Grand Prix du Japon, à Suzuka, qui couronnait Prost. Enfin, elle connut un épilogue spectaculaire, en 1990, toujours à Suzuka, mais cette fois au premier virage, quand le Brésilien percuta volontairement la Ferrari du Français avec l’assurance de décrocher le titre dans la foulée.
Mais, aujourd’hui, Prost préfère vivre avec d’autres souvenirs que ceux des accrochages ou de la ténacité de son adversaire. "Je n’ai pas oublié, non, mais j’ai une perception différente", convient-il. "Je n’ai pas oublié comment j’ai été traité, pas par lui d’ailleurs, mais plus par les médias. De toute façon, quand vous êtes le plus ancien, par rapport à un jeune qui arrive, vous n’aurez jamais raison. Mais, d’une certaine manière, ce n’est pas du tout ça qui est important pour moi aujourd’hui. A la limite, c’est d’avoir compris comment il était, pourquoi, comment, et, en fin de compte, qui il était vraiment."
Des coups de téléphone réguliers. L’ancien champion français explique que lors de cet hiver 1993-94, Senna, "qui n’allait pas très, très bien" à l’époque, l’appelait régulièrement, notamment pour lui demander de prendre la tête de l’association des pilotes pour discuter sécurité. Senna aurait également essayé de le convaincre de redevenir son coéquipier chez Williams-Renault. Visiblement, la perspective d’affronter un jeune du nom de Michael Schumacher ne l’enchantait guère…
Aujourd’hui, vingt ans après ce triste 1er mai, Prost, qui explique être resté en contact avec la famille de Senna, reconnaît qu’il est toujours délicat pour lui de parler de son ancien rival. Et plutôt que d’être dans des célébrations qu’il n’estime pas toujours "très opportunes"*, il préfère "en parler de temps en temps". Mais, quand il en parle, ses mots sont forts : "il n’y aura jamais de nouvel Ayrton Senna. J’ai pourtant eu des coéquipiers, qui ont souvent été champions du monde, avec du charisme, du caractère et du talent, mais jamais vous ne trouverez un autre Ayrton Senna, ce n’est pas possible."
*L’interview accordée à Dominique Bressot a été réalisée il y a quelques semaines.
DOCUMENT E1 - Mort d'Ayrton Senna : vingt ans après, l'émotion reste intacte