Jeudi après-midi, Martin Fourcade, vainqueur de quatre des cinq premières épreuves individuelles depuis le début de la saison de biathlon, rechausse les skis et reprend sa carabine à Nove Mesto, en République tchèque. Il le fera sur l'antenne de La chaine L'Équipe, codiffuseur de la Coupe du monde avec Eurosport depuis la saison dernière. Et très certainement devant de très nombreux téléspectateurs. En effet, la chaîne sportive, disponible gratuitement sur la TNT, réalise d'excellents scores d'audience grâce au biathlon. "Sur la saison dernière, on était déjà à plus de 290.000 téléspectateurs de moyenne sur les courses, hors championnats du monde", souligne le directeur de la chaîne, Arnaud de Courcelles. "Cette année, on a multiplié les audiences par deux. On est à 620.000 de moyenne, donc c'est vraiment très encourageant."
À titre de comparaison, le match de Fédérale 1 de rugby (troisième division) diffusé le même week-end a attiré lui jusqu'à 455.000 téléspectateurs. Grâce notamment aux compétitions de biathlon à Pokljuka, la part d'audience de la chaîne de la TNT a même atteint son plus haut de la saison, à 1,5%, le week-end dernier. La déclinaison télé du quotidien L'Équipe, qui a fait du biathlon l'un des porte-étendards de son offre multimédias, est sur sa lancée des derniers championnats du monde. En mars dernier, la dernière épreuve, la mass start hommes, avait atteint un pic d'audience à plus d'1,3 million de téléspectateurs en plein après-midi, avec Martin Fourcade en vedette, lui qui avait alors en ligne de mire un quatrième titre mondial individuel en quatre épreuves. Et à ces chiffres, spectaculaires, il faut ajouter les centaines de milliers de téléspectateurs restés fidèles à Eurosport, diffuseur "historique" des compétitions de sports d'hiver et désormais accessible gratuitement pour les abonnés Free.
Des Français qui brillent. Cet engouement pour le biathlon serait-il d'abord une affaire cocardière, dans les traces de Martin Fourcade ? "Ce sont d'abord des Français qui regardent des Français qui gagnent", sourit l'ancien champion Vincent Defrasne. "Et Martin Fourcade est à ce propos un formidable produit d'appel." Pour autant, les victoires françaises ne sont pas le seul élément d'explication à l'engouement observé. Pour le champion olympique de poursuite, à Turin, en 2006, le biathlon porte en lui un fort potentiel. "Le côté intéressant du biathlon, c'est le tir", note-t-il. "Le tir intervient au milieu d'un effort physique qui donne du dynamisme à la retransmission. Or, le tir, c'est binaire. C'est soit dedans, soit à côté, donc c'est très simple à suivre. Ça introduit un suspense assez évident."
Un "côté feuilleton". Et le suspense en télévision, c'est bon. "On a des courses assez courtes, avec des passages au tir qui reviennent plus souvent, et des sprints qui créent de la tension, élément qui marche très bien en télévision, là où le ski alpin peut souffrir à ce niveau", considère Arnaud de Courcelles. "En alpin, les premiers dossards sont intéressants et le reste l'est moins, ou l'inverse. Il faut parfois attendre la fin pour que les très bons descendent, alors qu'en biathlon, tous les athlètes partent quasiment en même temps. Il y a ce sentiment que tout le monde peut gagner et tout le monde peut perdre, à tout moment." Vincent Defrasne ajoute : "Le côté feuilleton est aussi une des clés du succès, avec des rendez-vous réguliers, tout au long du week-end et de l'hiver, des acteurs, des surprises." Martin Fourcade héros d'une série à suspense ? Sans doute. Mais encore faut-il que la série ait une réalisation à la hauteur de ses acteurs et de son décor.
La mise en valeur télévisuelle. "La télé a commencé à diffuser le biathlon à partir des Jeux d'Albertville, en 1992", explique Christophe Vassallo, coordinateur national du biathlon à la Fédération française de ski (FFS) et membre de l'IBU, l'Union internationale de biathlon. "La télé a été bien accueillie par la discipline, et bien guidée pour sa mise en valeur. Depuis ce jour, la télé est vraiment partenaire de la discipline. L'IBU a su évoluer en se mettant à l'écoute des demandes de chacun pour adapter ses formats de compétition, les rendre plus lisibles, plus spectaculaires, et les faire tenir dans des formats télé, pas très longs. On a eu la mass start, la poursuite, le relais mixte, et on peut en imaginer d'autres aujourd'hui." Vincent Defrasne, qui, par ses succès, à l'instar d'un Raphaël Poirée (aujourd'hui consultant sur La chaîne L'Équipe) ou d'une Sandrine Bailly, a permis de populariser le biathlon en France, confirme le bon travail de l'IBU : "La Fédération internationale a bien bossé là-dessus depuis 20 ans. Ils ont su développer notre sport sans le dénaturer."
Un effet dans les clubs de ski ? Aujourd'hui, si La chaine L'Équipe, qui a eu le mérite de faire le pari (gagnant) d'acheter les droits de retransmission jusqu'en 2018, est la première à profiter de l'attrait du grand public pour le biathlon, elle n'est pas la seule. Par capillarité, c'est l'ensemble de la "filière" biathlon qui en profite. "Si un partenaire frappe aujourd'hui à notre porte, on sera dans une meilleure position pour signer un meilleur contrat et aider ensuite des clubs de ski dans leur développement", rappelle Christophe Vassallo, qui ressent un "frémissement" au niveau des inscriptions dans les clubs de ski, le biathlon ne disposant pas de clubs spécifiques. "On le voit au niveau des jeunes, qui se rapprochent des clubs de ski nordique pour faire du biathlon et pas forcément du ski de fond. On a réagi, on a mis en place des formations, des circuits de compétition, avec des dispositifs spécifiques." Pour autant, la FFS n'attend pas un afflux de licenciés.
Et pour cause, le biathlon reste et devrait rester un sport élitiste. "Si on marche bien en compétition, c'est qu'on a une bonne méthode d'entraînement, qu'on maîtrise, parce qu'on n'a pas trop de monde à gérer", relève Christophe Vassallo. "Il y a de toute façon des contraintes inhérentes au biathlon qui empêchent d'en faire un sport de masse. La carabine, par exemple, répond à des exigences de sécurité, de prévention et d'encadrement. Il s'agit aussi d'un matériel coûteux, qui atteint les 3.000 ou 3.500 euros par exemplaire. De même, toutes les stations de sports d'hiver n'ont pas l'espace ou les ressources pour construire un stade de biathlon. Il y a donc des limites au développement de notre sport." En revanche, il n'y a pas de limite au nombre de téléspectateurs. "Lors des derniers JO, on a constaté que, sur les chaînes publiques, les audiences du biathlon étaient parmi les meilleures, donc on sait qu'il y a de l'engouement pour le biathlon", relève le dirigeant de la FFS. "Ça fait vingt ans qu'on a de bons résultats avec nos équipes. Aujourd'hui, il y a encore des gens qui ne savent pas que La chaîne L'Équipe diffuse le biathlon. Ça peut donc encore progresser, car, avec le bouche à oreille, les réseaux sociaux, ça peut faire boule de neige…"