Joint vendredi, Pascal Bidégorry est revenu sur l'avarie de dérive dont a été victime Banque Populaire V dans la nuit de mercredi à jeudi. Si l'équipage a réussi à hisser la dérive sectionnée sur le pont, il tente désormais de rendre utilisable ce qu'il en reste pour poursuivre le tour du monde. Un objectif jugé "compliqué" par le Basque qui décidera sans doute ce week-end s'il poursuit sa route ou abandonne... "Je crois qu'on est au treizième jour de course, c'est con..." S'il ne l'était pas avant de s'élancer pour son Trophée Jules-Verne, Pascal Bidégorry va peut-être devenir superstitieux. Au treizième jour de mer, c'est en effet un Banque Populaire V en souffrance qui poursuit bon an mal an sa route sur le Trophée Jules-Verne, volontairement ralenti par son équipage qui tente depuis jeudi de trouver un remède à la sérieuse avarie dont a été victime le trimaran. L'avarie en question ? La casse dans un choc avec un objet flottant non identifié (OFNI) de la dérive, grande planche de six mètres de long et pesant 600 kilos, qui permet non seulement au bateau de limiter la dérive lorsqu'il navigue au près (vent venant d'en face) mais également, en cas de choc, de protéger le safran central situé derrière elle. "Il faisait nuit noire, il n'y avait pas de lune, a commenté Pascal Bidégorry, la voix lasse. Il y a des baleines dans le quartier, on a dû taper une baleine. A ces vitesses, quand on tape quelque chose, faut pas rêver... C'est comme quand en voiture, vous roulez dans un gros trou à 200 km/h. Nous, il y avait un truc en travers de la piste, on est rentrés dedans." L'étendue des dégâts ? "La dérive a cassé sur un peu plus de deux mètres, le choc a été tellement intense qu'il a cassé net le barreau structurel de la dérive, c'est hallucinant." L'équipage a alors entrepris de rejoindre une zone de calmes vendredi matin afin de hisser la dérive sur le pont, avant d'entreprendre une laborieuse réparation: "On a sorti la dérive de l'eau ce matin, ça nous a pris du temps, on s'est arrêtés trois heures, raconte Pascal Bidégorry. On essaie maintenant de couper le moignon abîmé d'un mètre, en sachant qu'il y a déjà 2,20 mètres partis. Déjà, il faut qu'on arrive à la couper, on le fait avec une scie à métaux et une perceuse en faisant des avant-trous tout au long de la dérive. Mais c'est super costaud, ça prend vachement de temps à percer, je ne suis pas sûr qu'on y arrive. Si on y arrive, nous étudierons la possibilité de faire une stratification. Notre objectif est de fermer la partie basse de la dérive afin de la rendre étanche, sinon elle va continuer à se délaminer à haute vitesse, le petit bout va continuer à partir en charpie.""Je ne suis pas convaincu de l'histoire" En clair, les quatorze hommes d'équipage tentent de rendre utilisable une dérive amputée de moitié, l'objectif étant, si la réparation est menée à bien, d'attaquer l'océan Indien puis le Pacifique avec ce moignon, sachant que la dérive est moins utile dans cette partie du globe où les vents viennent très majoritairement de derrière. Mais Pascal Bidégorry n'entend pas prendre de risques inconsidérés, d'autant que la dérive a aussi un rôle de «fusible» pour le safran central (situé à l'arrière de la coque centrale) en cas de choc avec un OFNI, et dont une éventuelle casse peut avoir pour conséquence d'arracher l'arrière du bateau et de provoquer une voie d'eau. "On essaie de rendre étanche la partie saine pour voir si on peut reprendre une navigation normale, mais c'est comme si tu voulais nettoyer une carie avec un coton-tige ou un cure-dents. Ça risque d'être compliqué, on est par 46° Sud, on n'est pas dans un atelier à la bonne température. En plus, le bateau est susceptible de naviguer à 35-40 noeuds avec une forte compression dans l'eau, il faut que ça tienne encore le reste du tour du monde, je ne suis pas convaincu de l'histoire", commente le skipper. D'autant moins convaincu que le maxi-trimaran, qui n'avance plus qu'à "70% des polaires" (vitesse cible à un angle et une force de vent donnés), devrait rencontrer rapidement des conditions de près handicapantes avec une dérive abîmée. D'où le scepticisme du Basque: "Il y a un bon paquet de milles au près qui nous arrive. Sans dérive, il y a vite un problème. C'est comme si un mec voulait finir le Paris-Dakar sans suspension. Là, on essaie de réparer la suspension pour avoir le minimum vital pour continuer à naviguer. Mais je ne ferai pas le tour du monde avec un bateau pas à 100% et une dérive qui part en charpie. La route est longue jusqu'au Cap Horn, on a près de 20 jours de Sud devant nous, il faut les attaquer avec un minimum de sécurité et d'intégrité pour les hommes et le matériel." Pas question pour Pascal Bidégorry de faire courir trop de risques à un équipage dont il aura apprécié la solidarité dans cette épreuve: "J'en ai gros sur la patate, mais ce qui est sympa, c'est de voir que dans l'adversité, tout le monde se remonte les manches. On s'est tous dit qu'on ne lâcherait pas le morceau aussi facilement, je garderai ce bon souvenir de cette journée pas terrible." Verdict sans doute ce week-end.