Cammas géant du Rhum

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AXEL CAPRON , modifié à
Enfin ! Après treize ans en multicoque, Franck Cammas a décroché mardi sa première grande victoire en solitaire, remportant la Route du Rhum après 9 jours 3 heures 14 minutes et 47 secondes. Une victoire hautement symbolique pour le skipper de Groupama 3, d'abord parce qu'il a su relever avec panache le défi de disputer le Rhum sur un trimaran conçu pour dix hommes d'équipage, ensuite parce qu'il disputait à son bord sa dernière course... Chapeau !

Enfin ! Après treize ans en multicoque, Franck Cammas a décroché mardi sa première grande victoire en solitaire, remportant la Route du Rhum après 9 jours 3 heures 15 minutes. Une victoire hautement symbolique pour le skipper de Groupama 3, d'abord parce qu'il a su relever avec panache le défi de disputer le Rhum sur un trimaran conçu pour dix hommes d'équipage, ensuite parce qu'il disputait à son bord sa dernière course... Chapeau ! La boucle est bouclée ! En remportant ce mardi à 16h16'47", heure de la métropole (11h16'47" sur place), la neuvième édition de la Route du Rhum en classe Ultime, Franck Cammas tourne magnifiquement la page de ses années-multicoque, lui qui, il y a treize ans, avait justement débuté sur trois coques par la Route du Rhum 1998, qu'il avait terminée sur la troisième marche du podium. Depuis, le skipper successif de Groupama 1, Groupama 2 (deux trimarans de 60 pieds, soit 18,28 mètres) et Groupama 3, avait quasiment tout gagné, avec notamment trois Transats Jacques-Vabre, une Québec-Saint-Malo, des Grands Prix et titres de champion du monde Orma comme s'il en pleuvait, mais également décroché en mars dernier un Graal derrière lequel il courait depuis la construction de Groupama 3, le Trophée Jules-Verne, avec à ses côtés neuf hommes d'équipage, dont celui qui devrait prendre la troisième place sur ce Rhum 2010, Thomas Coville. Seule manquait à cet impressionnant tableau de chasse une grande victoire en solitaire, ses meilleurs résultats en solo étant cette troisième place originelle sur la Route du Rhum 1998 et une autre troisième place sur la Transat anglaise 2004 derrière Michel Desjoyeaux et Thomas Coville. Interrogé sur la question il y a un mois, l'Aixois faisait mine de ne pas y prêter trop d'attention, reconnaissant juste la supériorité de certains de ses concurrents dans l'exercice si particulier qu'est la navigation en solitaire: "Je ne suis pas le seul à ne pas avoir gagné de grandes courses en solitaire, ça me rassure... Et ça ne m'obsède pas du tout, je considère qu'il y en a d'autres qui sont plus spécialistes que moi, qui ont travaillé pour ça, ont peut-être plus le goût et l'esprit pour le faire. Moi, j'ai fait beaucoup plus de courses en équipage. Ça ne me défriserait pas de ne pas gagner la Route du Rhum, il y a plein d'autres courses que je n'ai pas gagnées et que j'ai envie de gagner..." Connaissant l'esprit de compétition qui anime l'intéressé, on se doute cependant bien qu'il aurait considéré comme un échec tout autre résultat qu'une victoire sur cette Route du Rhum 2010, une course qu'il s'était décidé bon gré mal gré, un rien forcé par le contexte (la mort de la classe Orma, multicoques de 60 pieds), à disputer sur son grand Groupama 3 (31,50 mètres), reconfiguré pour l'occasion en version solitaire avec un mât plus court. "C'est un challenge assez incroyable et excitant, je ne sais pas si je vais y arriver, mais c'est un défi fabuleux, nouveau pour moi, je suis très content de partir avec cette incertitude. C'est comme si je faisais ma première Route du Rhum, je me retrouve un peu comme en 1998, même si j'ai quand même fait un peu plus de milles cette fois-là", nous confiait-il avant le départ. Joyon "admiratif", Eliès "impressionné" Un "défi fabuleux" que le skipper de Groupama 3 a su, au bout neuf jours 3 heures 14 minutes et 47 secondes de mer (à 20,39 noeuds de moyenne, soit un jour et demi de plus que le chrono record de Lionel Lemonchois en 2006), relever avec panache, réalisant, aux dires notamment d'Armel Le Cléac'h, interrogé lundi sur la question, "la course parfaite" (il a mené de bout en bout), avec dès le passage d'Ouessant, la décision risquée mais payante, prise avec ses routeurs Charles Caudrelier et Jean-Luc Nélias, de plonger plein sud là où Thomas Coville et Sidney Gavignet misaient sur une route nord a priori plus directe. "Ça me paraît bien audacieux de rallonger la route pour aller chercher quelque chose qui n'existe pas", souligne alors le directeur de course, Jean Maurel, tandis que Sidney Gavignet, qui abandonnera sur avarie deux jours plus tard, "n'arrive pas à croire à cette option sud". Et pourtant, l'Aixois réussit à se "faufiler dans un trou de souris", pour reprendre l'expression de notre chroniqueur Yann Eliès et à prendre la poudre d'escampette, laissant sur place les autres partisans de l'option sud, dont un Francis Joyon (qui va sans doute terminer deuxième) "très admiratif de ce qu'a fait Franck." Et le skipper d'IDEC d'ajouter: "Quand j'ai vu dès la traversée du golfe de Gascogne qu'il allait deux noeuds plus vite que nous avec un meilleur angle de descente, j'ai su que la messe était dite, et qu'il avait fait le bon choix en partant sur Groupama 3. Je suis admiratif de sa capacité à mener ce bateau, ainsi que de ses choix de route." Même son de cloche chez Yann Eliès qui s'avoue "impressionné" par le rythme imprimé par Cammas: "Je connaissais le potentiel du bateau, mais j'avais de gros doutes sur la capacité du skipper à le mener tout seul, il fait une démonstration.""Une belle fête" Une démonstration cependant payée au prix fort par l'intéressé, puisque si Franck Cammas a d'abord eu des conditions plutôt favorables à son Groupama 3, à savoir de la brise soutenue et assez régulière, la suite a été d'un tout autre tonneau, avec une deuxième partie d'Atlantique éminemment plus compliquée, notamment une très longue arrivée au près (vent venant de face), l'obligeant à sans cesse manoeuvrer, exactement ce qu'il souhaitait éviter avant le départ. "Dans les manoeuvres, je vais à chaque fois perdre un quart d'heure, et un quart d'heure, c'est quatre milles à certaines vitesses", expliquait-il. Malgré cela et malgré un sommeil réduit à sa plus simple expression (on a parlé de vingt minutes quotidiennes !), le skipper de Groupama 3 est parvenu à maintenir à distance Thomas Coville et Francis Joyon, ses plus sérieux adversaires, se donnant suffisamment d'avance au moment d'arriver au nord de la Guadeloupe, ce qui lui a permis de s'éviter un tour de l'île trop tendu nerveusement. C'est finalement de jour, à 16h16'47" précisément, que l'heure de la délivrance a sonné pour un skipper qui, avec cette victoire, devient l'égal des plus grands au large, et offre à son Groupama 3 une sortie royale, le bateau étant destiné à être vendu, puisque Franck Cammas concentrera les prochaines années à la Volvo Ocean Race, course autour du monde en équipage (par étapes sur monocoque). Interrogé sur la valeur du symbole début octobre, l'intéressé refusait d'entrer dans ce registre émotionnel, soulignant juste: "Avec Groupama 3, on a réussi tous les objectifs qu'on s'était fixés, donc je ne pars pas avec une énorme pression. Si ça fonctionne, tant mieux et ce sera une belle fête à l'arrivée." Nul doute que, même si l'homme n'est pas du genre à faire des folies, la fête guadeloupéenne sera bien belle mardi soir sous les tropiques...