Le 29 mai prochain, les représentants des 209 fédérations composant la Fédération internationale du football, la Fifa, éliront leur nouveau président. A l'âge de 78 ans, le Suisse Sepp Blatter, en poste depuis 1998, briguera un cinquième mandat à la tête de cette institution, en charge notamment de l'organisation de la Coupe du monde. Cinq hommes ont fait acte de candidature contre lui, dont le Français Jérôme Champagne. Méconnu du grand public, ce fin connaisseur du football et du monde diplomatique a côtoyé Sepp Blatter pendant onze ans à la Fifa. Candidat ouvertement indépendant, Jérôme Champagne n'est pas encore assuré d'obtenir les "parrainages" de cinq fédérations. Cela ne l'empêche pas - et peut-être à la différence d'autres - d'exposer son idée du football et ses idées pour la Fifa dans un livre à mi-chemin entre la biographie et le livre-programme*. Europe 1 l'a interrogé sur ce qui l'a motivé dans sa volonté de "révolutionner la Fifa", comme l'indique le titre de l'ouvrage qu'il vient de publier.
Depuis plusieurs mois maintenant, le nom de "Fifa" est associé aux atermoiements autour de la candidature du Qatar, des achats de vote, etc. Est-ce la raison de votre engagement ?
Il faut reconstruire l'image de la Fifa mais pour la reconstruire, il faut pouvoir identifier quelles sont les causes du problème. Le problème principal est que le comité exécutif de la Fifa n'est pas contrôlé pas la Fifa mais par les confédérations continentales. En France, on élit quelqu'un à la présidence de la République qui peut choisir son gouvernement pour appliquer la politique pour laquelle il ou elle, un jour, aura été élu. A la Fifa, ce n'est pas le cas.
"Il faut lutter contre les inégalités dans le football" :
Etes-vous favorable à la publication de l'intégralité du rapport Garcia sur l'attribution du Mondial 2022 au Qatar ?
Nous devons savoir, pour pouvoir protéger la Coupe du monde. Le rapport de Garcia doit donc être publié en l'éditant de telle manière que l'identité des témoins soit protégée. Les Qataris ont droit à la présomption d'innocence. Si ce rapport est publié, on verra ce qu'il y a dedans et si, effectivement, ces comportements non éthiques peuvent être liés au résultat du vote, qui fut de 14-8 pour le Qatar. Si 6 des 14 personnes qui ont voté pour le Qatar sont affectées par des enquêtes, des suspicions, s’il y a un faisceau de circonstances, il faudra corriger le vote. On a du temps, on sept ans devant nous, donc on peut facilement réorganiser la Coupe du monde autre part. Il y a également le problème de la construction des stades. Là, ce n'est pas seulement un problème d'accidents du travail, c'est un problème d'exploitation systématique. Je soutiens la proposition du président de la fédération allemande qui est de laisser un an au Qatar pour régler cette situation et de demander dans un an à des structures comme Amnesty international ou la Conférence internationale des syndicats de nous dire : "oui la situation a changé" ou "non, la situation n'a pas changé".
Cette Coupe du monde au Qatar, vous y êtes favorable sur le fond ?
Pas pour 2022, j'aurais voté pour les Etats-Unis. Plus tard, j'aurais défendu une candidature panarabe, et plutôt que construire huit stades sur un bout de territoire, on aurait pu utiliser les stades déjà existants avec un groupe au Koweït, un groupe au Bahreïn, un groupe à Abu Dhabi, un groupe à Dubaï, etc, avec des coups d'envoi tardifs, 20h, 22h ou minuit, pour éviter les grandes chaleurs.
Jérôme Champagne a le soutien d'une icône du football, Pelé :
Vous parlez de révolutionner la Fifa mais, dans votre programme, vous reprenez plusieurs des idées ou réflexions déjà développées par Sepp Blatter...
Il faut garder ce qui a été bien fait pendant 40 ans. Mais il faut s'attaquer à un problème : la croissance des inégalités. Il y a 20 ans, le football européen était homogène : le Steaua Bucarest était champion d'Europe en 1986, l'Etoile rouge de Belgrade l'a été en 1991, ce n'est plus possible aujourd'hui. Mais ça ne touche pas que l'Europe de l'Est mais également les Pays-Bas, la Suède. Il existe aujourd'hui dans le football européen un "rideau de fer financier". Les 20 clubs les plus riches au monde font un chiffre d'affaires de 6,2 milliards d'euros par an, quand 100 fédérations dans le monde survivent avec des budgets annuels inférieurs à 2 millions d'euros. On voit une Ligue des champions de plus en plus inégale, élitiste.
Cette réforme de la Ligue des champions, c'est Michel Platini qui l'a portée. Vous n'êtes pas tendre avec le président de l'UEFA, qui a finalement décidé de ne pas se présenter à cette élection à la Fifa...
Il n'est pas candidat parce qu'il n'a pas eu le courage de se présenter. Et deuxièmement, il a trouvé un candidat européen pour le défendre (le président de la fédération néerlandaise, ndlr) mais, je le dis ici, il va perdre. M. Blatter va gagner, va être réélu. Et au lieu d'avoir fait progresser le débat, on va avoir une lutte personnalisée, on va avoir une campagne contre une personne, entre une vision universaliste et une vision élitiste qui est celle de la Ligue des champions. On ne va pas débattre du fond des choses. Au moment où je vous parle, je suis le seul à avoir mis en place un programme... Michel Platini, je le connais très bien (ici à ses côtés, à gauche en 2005, ndlr). D'ailleurs, Sepp Blatter et moi-même l'avons beaucoup aidé à devenir président de l'UEFA. Il a fait un certain nombre de choses intéressantes. Mais sous l'effet de l'arrêt Bosman, du format de la Ligue des champions, de la redistribution des richesses, le football européen est devenu une machine à créer de l'inégalité. Et si on veut que la globalisation du football se poursuive, il faut qu'elle soit mieux partagée. Je ne suis pas contre l'UEFA, je ne suis pas contre Michel Platini mais il faut dire la vérité : moi, je parle football.
A la différence de Michel Platini, vous êtes également en faveur du recours à la vidéo...
Oui. Sepp Blatter en également a parlé lors du dernier congrès. J'ai lancé aussi l'idée d’une suspension temporaire avec le carton orange que Michel Platini a reprise en le colorant en blanc...
Vous dites que Sepp Blatter va être réélu. Alors pourquoi vous présentez-vous ?
Je ne suis pas quelqu'un d'arrogant pour croire que ce que je dis ait une influence, ce n'est pas mon genre, mais je suis convaincu que le président actuel de la Fifa parlera beaucoup plus de réforme et que le rôle d'aiguillon, d'agitateur d'idées qui a été le mien va continuer parce que je pense qu'on en a besoin. Aujourd'hui, la Fifa a plus d'un milliard d'euros de réserve. On peut facilement en utiliser un tiers. J'ai proposé qu'on installe des pelouses artificielles dans les championnats qui en ont besoin (en Afrique notamment). J'ai aussi proposé qu'on fasse des réformes de structure, parce que la Fifa appartient aux fédérations nationales, pas aux confédérations, et j'espère pouvoir continuer à peser sur le combat contre les inégalités. Il est central et je continuerai à le défendre, même si les candidats ne le font pas.
*Comment je veux révolutionner la Fifa, Jérôme Champagne (avec Denis Chaumier), Hugo Sport, 224 pages, 15 euros.