Il s'est levé en serrant le point gauche et en tenant par la main Serge Simon, son vice-président, assis à sa gauche. Bernard Laporte, président de la Fédération française de rugby (FFR), a forcément été saisi d'une intense émotion quand le président de World Rugby, la Fédération internationale, l'Anglais Bill Beaumont, a annoncé que c'était la France qui allait accueillir la Coupe du monde de rugby en 2023. "La France a gagné. Le rugby amateur a gagné. Beaucoup de joie, beaucoup de travail pour y arriver", a tweeté l'ancien sélectionneur des Bleus, qui était en poste quand la France avait accueilli le Mondial pour la dernière fois, en 2007, en co-organisation avec l'Écosse et le pays de Galles. "Cette Coupe du monde 2023, elle est pour tout le rugby français. Les retombées économiques seront pour eux (les rugbymen). Avec les réformes que nous avons engagées, nous avions besoin de cette Coupe du monde", a-t-il ajouté. Quelques minutes après l'annonce de la décision, Bernard Laporte avait déclaré : "Je suis fier. Merci à World Rugby qui a fait beaucoup, même s'il y a eu des incompréhensions."
Contre l'avis de World Rugby. Les "incompréhensions" dont parle Bernard Laporte se sont cristallisées autour de l'avis émis par World Rugby le 31 octobre dernier. Pour la première fois, l'instance internationale a en effet rendu publique l'étude fournie aux membres des fédérations afin de les guider dans leur choix. Cette étude qualitative donnait l'Afrique du Sud en tête avec 79% de satisfaction sur un ensemble de critères, devant la France, 76%, et enfin l'Irlande, troisième pays candidat à l'organisation de ce Mondial 2023, avec 72%. Deux semaines plus tard, la France est arrivée en tête au premier tour du vote (18 voix contre 13 à l'Afrique du Sud et 8 à l'Irlande) puis au second (24 contre 15 à l'Afrique du Sud).
Congratulations to France who have been awarded Rugby World Cup 2023 following World Rugby Council's vote #RWC2023pic.twitter.com/8enJhanPmW
— World Rugby (@WorldRugby) November 15, 2017
Comment est-ce possible ? Ça l'est d'abord car l'avis émis par World Rugby n'a rien de contraignant et que les votants des fédérations ou des confédérations sont libres de leur choix. Mais ça l'a peut-être été surtout car Bernard Laporte a mené campagne ces deux dernières semaines, en montant au créneau contre le rapport de World Rugby et en envoyant une lettre aux fédérations. Le message envoyé : l'avis de l'instance internationale n'est pas bon. "Nous avons écrit à World Rugby et à Bill Beaumont pour avoir des réponses à ces questions (sur pourquoi l'Afrique du Sud était placée devant la France en termes infrastructures et de sécurité) et pour que ce soit changé, c'est-à-dire que la France soit placée devant", avait expliqué le boss du patron français, toujours aussi franc du collier.
"Comme des chiens". En résumé : en deux semaines, Bernard Laporte a pris à bras-le-corps son rôle de lobbyiste, qu'il connaît forcément un peu (il a été consultant TV et ministre) dans un monde qu'il connaît un brin (il a été joueur, entraîneur, sélectionneur national et maintenant président).
"Quand on est président, on prend des responsabilités lourdes quelquefois, et pour lui qui est arrivé en décembre (2016, à la présidence de la FFR), il a fallu qu'il s'en décide en quelques semaines, pour organiser cette candidature", a souligné au micro d'Europe 1 Bernard Lapasset, ancien président de la FFR qui avait obtenu l'organisation du Mondial 2007 en France avant de jouer un rôle central dans la candidature de Paris pour les JO 2024. "On ne fait pas une candidature comme ça sur un revers de manche quand on n'est pas convaincu. Il a réussi à convaincre grâce à son talent et à sa passion pour le rugby, il a réussi à convaincre tous ceux qui ont voté pour la France."
Partenaire de Bernard Laporte dans l'aventure, Claude Atcher, patron de la société Score XV et directeur de "France 2023", a également souligné l'apport de l'ancien coach des Bleus. "Je pense que quand Bernard est arrivé, on a tous pris la responsabilité de ramener cette Coupe du monde pour le rugby français, pour le rugby professionnel, le rugby amateur, pour les fans. On s'est battu pendant huit mois comme des chiens. Cela a été difficile, vous ne pouvez pas vous imaginer. On a tenu, jusqu'à cette nuit encore. On rencontrait des présidents pour les convaincre que notre dossier était le meilleur."
“Bravo aux délégations irlandaise et sud-africaine. C’était 3 candidatures extraordinaires.”
— Bernard Laporte (@BernardLaporte_) November 15, 2017
"Ce n'est pas une revanche pour moi". Évidemment, l'Afrique du Sud a modérément goûté le choix effectué mardi. "World Rugby a conduit un processus exhaustif et transparent pendant quinze mois pour identifier la meilleure nation (pour organiser la Coupe du monde). Ce processus est devenu totalement opaque ces deux dernières semaines", a déclaré dans un communiqué Jurie Roux, directeur général de la Fédération sud-africaine (Saru). Celui-ci a cependant exclu de porter toute réclamation : "Nous avons toujours dit que nous respecterions le processus et nous estimons désormais qu'il est clos."
La voix sud-africaine rappelle celle entendue et lue, notamment sur les réseaux sociaux, qui s'étonne du choix de la France et interroge la nature des agissements en coulisses du président de la FFR. C'est que le nom de Bernard Laporte a été associé ces derniers temps à plusieurs affaires. Une enquête, dont les résultats doivent être publiés dans les jours qui viennent, a ainsi été diligentée à son encontre par le ministère des Sports pour des soupçons de favoritisme vis-à-vis du Montpellier Hérault Rugby.
Bernard Laporte tient-il là sa revanche ? "Non, ce n'est pas une revanche pour moi", a-t-il insisté. "Moi, j'étais le dépositaire. On a dépensé beaucoup d'énergie avec Claude (Atcher, lui aussi mis en cause dans une enquête de Mediapart, ndlr) et les ambassadeurs. On est allé dans le monde entier du 13 août jusqu'à cette nuit. Ce n'est pas une revanche sur qui que ce soit. Je me devais par rapport au rugby amateur d'y mettre toute mon énergie." Sa place à la tête de la FFR s'en trouve-t-elle consolidée, alors que l'équipe de France est en panne de résultats ? "Ce n'est pas ce succès qui consolide ma place. Tout consolide ma place."
Mohed Altrad "se réjouit". Mohed Altrad, propriétaire du club de Montpellier égratigné pour ses liens avec Bernard Laporte, "se réjouit" de l'attribution à la France du Mondial 2023, dont il est l'un des soutiens financiers. "C'est aujourd'hui une belle victoire, prometteuse pour le rugby français professionnel bien sûr, mais aussi amateur. L'organisation de la Coupe du monde en France permettra de développer les pratiques sportives, en particulier chez les jeunes, et le groupe Altrad y prendra sa part", indique le groupe dans un communiqué. Le groupe Altrad, spécialisé dans les matériaux pour le BTP, est devenu en mars le premier partenaire maillot de l'histoire du XV de France, s'affichant sous le logo "France 2023".
Altrad avait également signé un contrat d'image d'un montant de 150.000 euros avec Laporte, après l'élection de ce dernier à la tête de la FFR le 3 décembre 2016. Face à la polémique, Laporte y a depuis renoncé.