Pas loin de figurer au rang d'arme fatale dans l'arsenal du XV de France, même si les Bleus s'en défendent, la mêlée fermée passe pour un secteur sinon sinistrée chez les Wallabies, du moins déconsidéré et affaibli. Incontournable toute cette semaine, elle pousse Robbie Deans à faire monter la pression sur les arbitres quand le staff tricolore prétend lui-même que sa priorité est ailleurs. Info ou intox ? Il y a d'abord un contexte qui, quoi qu'on en dise, s'avère bel et bien particulier en cet automne, à Marcoussis, où les avants tricolores, à l'image d'un Julien Bonnaire, se pincent pour le croire quand leurs coéquipiers des lignes arrière sont invités comme cette semaine à prolonger leur entraînement spécifique vingt bonnes minutes au-delà de la séance vidéo du troisième ligne clermontois et de ses partenaires du huit de devant. "C'est la première fois que je suis en équipe de France que ça arrive", avoue ainsi Bonnaire, qui lâche sur le ton de la boutade, mais quand même...: "Ça ne leur fait pas de mal de travailler un peu plus que nous..." La mêlée fermée française, redevenue à Montpellier, face à l'Argentine, bientôt neuf mois après ses exploits du Tournoi, le meilleur tube des Bleus en contraste avec son homologue australienne, parmi les plus mauvais élèves dans l'exercice au plus haut niveau international. Une sorte de choc des extrêmes entre un paquet d'avants tricolore capable d'obtenir quatre pénalités ou coups francs contre les Pumas sur cette phase de jeu, là où dans le même temps la mêlée australienne concédait six pénalités et un essai face à une référence dans le domaine, l'Italie. Une faillite qui n'empêchera pas les Wallabies de s'imposer à Florence (32-14). L'illustration si besoin en était que si elle ne peut à elle seule faire gagner un match, une mêlée perfectible n'est pas rédhibitoire. "Il faut souligner leur capacité à charger en mêlée, constate Marc Lièvremont, de concéder des pénalités sans que cela n'affecte leur rendement. Leur capacité à souffrir dans ce secteur, mais à passer dessus et à rester dans le match est impressionnante. La mêlée est une faiblesse avérée de leur rugby, mais cela ne pénalise pas les autres secteurs de leur jeu." Servat: "Frustrant si ça ne les fait pas trop souffrir..." Et avec cette spécificité australienne, le staff des Bleus en viendrait même à vouloir nous faire croire que cet avantage français ne sera pas poussé samedi, au Stade de France. "C'est une équipe qui n'est pas très puissante sur ce secteur", confirme en écho Didier Retière, l'homme de l'art chez les Bleus, en charge des avants pour lesquels il a même contribué à développer le fameux simulateur de mêlée électronique, qui attise tant depuis le début de la semaine la curiosité des journalistes australiens. "En revanche, ils ne perdent presque aucun ballon sur leurs introductions. Ils n'ont pas fait de la mêlée leur priorité dans le jeu, mais ils s'en sortent. Ils sont difficiles à jouer car ils ont quand même su organiser leur mêlée pour ne pas trop subir. Ce serait une erreur pour nous de nous focaliser sur ce secteur car les Australiens ne cherchent pas l'épreuve de force en mêlée, ils cherchent plutôt à créer du mouvement derrière." Une ambition qui n'est pas étrangère non plus à ce XV de France... Mais que les Wallabies parviennent à concrétiser, et c'est bien là tout le sel de cette confrontation, sans passer par cette prise d'avantage en conquête. Le jeune Jérôme Schuster, appelé à rentrer en cours de jeu samedi, annonce déjà: "Le match ne se jouera pas que sur ça, on voit que même avec une mêlée défaillante, ils arrivent à gagner leurs matches, c'est la preuve qu'ils ont beaucoup d'autres qualités. (...) A nous de mettre l'accent là-dessus, sans trop laisser d'énergie parce qu'on voit que si leurs piliers subissent en mêlée, ils parviennent à être toujours disponibles dans le jeu courant, à toucher des ballons, à avancer." Pas question de renoncer donc, même si William Servat, l'un des trois tauliers de la première ligne avec Nicolas Mas et Thomas Domingo constate la même problématique. "Ce sont des piliers et des deuxièmes lignes qui peuvent jouer comme des trois-quarts, souligne le talonneur toulousain, en espérant malgré tout: Mais si on les use un petit peu en mêlée, peut-être qu'ils courront un peu moins vite. Mais c'est vrai que c'est frustrant pour nous si pousser les mêlées, ça ne les fait pas trop souffrir." Et de se rassurer malgré tout: "Même s'ils ne donnent pas trop l'impression d'en souffrir, quand on est dominé en mêlée, ça se ressent tout de même dans le jeu..." Reste ce discours quasiment admiratif du sélectionneur national, qui pourrait presque résonner comme un désaveu vis-à-vis de ses "gros", si on ne soupçonnait pas une part d'intox, comme celle que n'a pas hésité à dégainer cette semaine son homologue Robbie Deans en matière d'arbitrage sur ces phases de mêlée fermée (voir par ailleurs). "Je me mets à la place d'une équipe française qui chargerait comme les Australiens chargent en mêlée, nos avants auraient certainement du mal à se remobiliser". "Leurs piliers jouent, si vous me permettez le mot, comme des trois-quarts centres en mêlée, mais aussi dans le jeu courant et c'est à mon sens une source d'inspiration pour beaucoup d'équipes du Nord." Baromètre psychologique La crainte de voir les Bleus privés de leurs meilleures cartouches est réelle, mais si le French flair a disparu, pas question de renoncer à l'autre fonds de commerce de l'équipe de France. "On va essayer de quand même les marquer sur ce secteur sans trop y laisser de jus pour être performants ensuite dans le jeu", tente de se convaincre encore Schuster, suivi de près par Servat, son aîné: "Je ne sais pas si on va y arriver, mais ça vaut le coup d'essayer. Moi, je ne laisserai pas tomber complètement (rires)." Car si l'actuel baromètre psychologique, et pas seulement, du rugby français, se trouve ne pas être celui du rugby australien, alors "raison de plus pour ne rien relâcher parce que si ce n'est pas important pour eux, ça l'est vraiment pour nous."