Dix mois après le naufrage des Bleus à Knysna, on replonge le couteau dans la plaie. Raymond Domenech et la FFF se sont retrouvés jeudi matin pour une audience de conciliation devant le conseil des Prud’hommes de Paris. L'avocat de Raymond Domenech, Me Jean-Yves Connesson, a indiqué jeudi à la sortie qu'aucune conciliation n'avait été trouvée avec les avocats de la Fédération française de football (FFF) et que l'affaire avait été renvoyée au bureau de jugement des prud'hommes, le 13 janvier 2012.
L’ancien sélectionneur de l’équipe de France conteste son licenciement et réclame 2,9 millions d’euros d’indemnités à la fédération. Retour sur l’affaire avec Yannick Pagnerre, maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas, à Paris, spécialisé dans le droit du travail.
Que s'est-il passé ? Après l’élimination prématurée des Français lors de la Coupe du monde en Afrique du Sud, la FFF décide de licencier Raymond Domenech pour faute grave. La fédération lui reproche trois faits : la non-communication des insultes proférées par Nicolas Anelka à la mi-temps de France-Mexique, la lecture du communiqué des joueurs lors de la grève de Knysna et le refus de serrer la main du sélectionneur sud-africain, Carlos Alberto Perreira.
Qu'est-ce que réclame Domenech ? La principale défense de Raymond Domenech repose sur la nature de la faute. Ses avocats vont tenter de prouver que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas de nature disciplinaire. Me Jean-Yves Connesson, l’avocat de l’ancien sélectionneur des Bleus entend démontrer que "ce licenciement est infondé et abusif".
L’avis de Yannick Pagnerre : "Les faits reprochés à Raymond Domenech ne constituent pas une faute disciplinaire. Ne pas révéler les propos de Nicolas Anelka à la FFF ne peut constituer une faute grave. Au même titre que la lecture du communiqué des joueurs. Un cadre peut très bien lire un communiqué de ses salariés si leurs propos ne sont pas excessifs à l’égard de l’entreprise. Seul le refus de serrer la main d’un autre sélectionneur pourrait constituer une faute disciplinaire mais c’est très léger. Le licenciement pour faute grave sera donc difficile à reconnaître. Raymond Domenech pourrait donc avoir droit à une indemnité de licenciement et à une indemnité de préavis".
Quelle est la défense de la FFF ? La Fédération n’entend pas lâcher l’affaire si facilement. "Le caractère de la faute grave est totalement justifié", a récemment expliqué Me Yves Wehrli, l’avocat de la FFF. Et de poursuivre : "la fédération a vécu la pire période de son existence, avec une image désastreuse donnée au monde". La Fédération va donc tenter de prouver que Domenech a perturbé l’image de l’entreprise.
L’avis de Yannick Pagnerre : "La cause réelle et sérieuse du licenciement peut être retenue si les juges considèrent que le comportement de Raymond Domenech a constitué un trouble objectif au fonctionnement et à l’image de la FFF. Mais comme cette dernière a licencié l’ancien sélectionneur pour faute grave, et qu’il paraît compliqué de retenir le caractère grave de cette faute, la FFF devra quand même indemniser son salarié".
Quelle est la procédure ? L’audience de conciliation, à huis clos, sert à rapprocher les deux parties en vue de trouver un accord. Les juges prud’homaux devront leur rappeler leurs droits et devoirs. Si cette audience de conciliation n’aboutit pas à un accord, une audience de jugement sera fixée ultérieurement.
L’avis de Yannick Pagnerre : "En l’espèce, la FFF et Raymond Domenech ont déjà tenté un rapprochement qui n’a pas abouti. L’audience de conciliation va donc se résumer à une simple chambre d’enregistrement. Une formalité juridique avant un futur jugement".
Peut-il toucher les primes ? Si les 23 mondialistes (à l’exception de Nicolas Anelka et de William Gallas) ont tous accepté de reverser leurs primes liés au droit à l’image pendant le Mondial, Raymond Domenech, lui, n’a pas encore décidé ce qu’il allait en faire. Cette prime est estimée à 130.000 euros.
L’avis de Yannick Pagnerre : "Il s’agit de la force obligatoire des contrats. Les primes étaient prévues pour l’exploitation de l’image des joueurs et du sélectionneur. L’exploitation de leur image a bien été réalisée, les primes doivent donc être versées. Par conséquent, Raymond Domenech peut y renoncer mais c’est une décision individuelle. La FFF ne peut s’y opposer. Elle est une tierce personne dans cette opération et n’a aucun droit sur ces primes. C’est une pure opération de com’ qui, juridiquement, ne repose sur aucun fondement".
Quelle est la suite logique de l'affaire ? Si les deux parties ne trouvent pas d’accord jeudi lors de l’audience de conciliation, une audience de jugement sera fixée. Cette affaire pourrait même traîner si l’une des deux parties décidait de contester la décision de justice des Prud’hommes.
L’avis de Yannick Pagnerre : "La FFF a tout intérêt à enterrer l’affaire et faire retarder le jugement pour parvenir à un accord plus discret avec Domenech dans le futur. Elle ne pouvait se permettre de signer un chèque en blanc après une Coupe du monde si catastrophique pour son image. En revanche, l’ancien sélectionneur des Bleus doit, lui aussi, avoir conscience que demander des montants aussi exorbitants peut être contre-productif et qu’il pourrait y perdre dans son indemnité perçue".