"Je ne peux pas dire que ce soit faux, je ne peux pas dire que soit vrai."
La formule est entrée ipso facto dans la légende des petites phrases du cyclisme. Pointé du doigt par des révélations du quotidien L'Equipe sur un dopage à l'EPO sur le Tour de France 1998, Laurent Jalabert s'est retranché lundi soir derrière une ligne de défense assez claire : s'il reconnaît avoir reçu à l'époque des injections de la part de son équipe, il ignorait en revanche les produits qu'elles contenaient.
>>> Possible ? Médicalement, cette explication peut tenir la route si l'on en croit Gérard Dine, médecin biologiste à l'Université de Troyes, qui a réagi sur Europe 1. "Ce sont de petites injections sous-cutanées qui peuvent paraître totalement anodines et si on ne veut pas le savoir, on peut ne pas le savoir", explique-t-il. "En fait, c'est un problème de prise de conscience de ce que l'on pourrait appeler l'encadrement médicalisé extrême du milieu sportif." La frontière entre "réparation" et "préparation" peut effectivement être parfois très ténue...
"Argent, sexe et dopage"
>>> Invraisemblable… Laurent Jalabert, qui a terminé les années 1995, 96 et 97 au sommet de la hiérarchie mondiale du cyclisme, pouvait-il néanmoins ignorer ce qu'on lui administrait ? "Ça paraît invraisemblable", estime Jean-Pierre de Mondenard, spécialiste du dopage dans le sport, et dans le cyclisme en particulier, interrogé par Europe1.fr. "Dans le vélo, les trois principaux axes de discussion sont, un peu comme pour tous les hommes d'ailleurs : l'argent, le sexe et le dopage. Jalabert est peut-être passé à travers sa carrière cycliste en étant dans la lune... J'ai du mal à le croire quand il nous dit qu'il ne sait pas ce qu'il prenait." Le docteur de Mondenard ne croit pas aux dires de Jalabert, d'autant qu'Alex Zülle, un autre leader de son équipe à l'époque, la Once, a déjà témoigné sur des pratiques dopantes. Lors de ses auditions dans l'affaire Festina, le Suisse avait ainsi reconnu avoir commencé à faire usage de l'EPO quatre ans plus tôt, lorsqu'il était encore membre de l'équipe du sulfureux manager Manolo Saiz.
Etant donné son pedigree de champion, il est effectivement difficile d'imaginer que Jalabert ait ignoré quoi que ce soit des pratiques qui prévalaient à l'époque "dans les deux tiers du peloton", selon Gérard Dine. Alors pourquoi feindre l'ignorance ? "Jalabert ne peut pas avouer qu'il se dopait parce qu'il est consultant, parce que toute sa vie professionnelle aujourd'hui s'appuie sur son passé de cycliste de haut niveau", commente Jean-Pierre de Mondenard. Confronté aux soupçons, Jalabert, consultant pour France Télévisions et RTL, a finalement décidé de ne pas suivre le Tour cette année. Sans pour autant passer aux aveux.
"Des arguties"
>>> Un monde qui s'écroule. "Regardez Armstrong, le temps qu'il lui a fallu pour avouer, il a fallu qu'il ait des gros nuages au-dessus de lui, et plus que des nuages. Il était acculé", souligne le docteur de Mondenard. "Virenque, c'est pareil, ses avocats lui ont expliqué que s'il n'avouait pas, les Guignols continueraient à détruire sa famille. Un homme qui avoue le dopage, c'est tout son monde, tout ce qu'il a construit pendant des décennies qui s'écroule et ça, ils ne peuvent pas. Ça donne des arguties comme celles de Merckx. Il a déclaré l'année dernière que jamais il n'aurait pensé qu'Armstrong se dopait. On hallucine. Pourquoi dit-il ça ? Parce qu’en défendant Armstrong, il se défend lui-même."
Une réaction dans l'urgence
>>> Pas la même stratégie qu'Armstrong. En jouant le grand naïf, Jalabert adopte une stratégie opposée à celle de Lance Armstrong qui, en janvier dernier, avait détaillé point par point les produits interdits auxquels il avait eu recours durant sa carrière. "La situation est différente car Armstrong avait eu du temps pour se préparer à répondre", détaille au micro d'Europe1.fr Pierre Ballester, auteur de Fin de cycle*, consacré aux années Armstrong, post-Tour 1998. "Entre l'annulation de ses titres par l'Union cycliste internationale en octobre et son passage au micro d'Oprah Winfrey en janvier, Il s'est passé trois mois. Il a eu le temps de préparer son discours avec ses avocats. Là, Jalabert, ça lui est tombé dessus et il a réagi rapidement. C'est une protection, un peu ambiguë, entre deux eaux."
Son absence au micro sur la 100e édition du Tour de France va offrir du temps à "Jaja" pour préparer sa défense. Ou réfléchir à des aveux. "Pour qu'on avance, j'attends que Jalabert nous dise à quoi il carburait. J'attends que Poulidor, Hinault, Guimard nous disent à quoi ils carburaient", s'irrite Jean-Pierre de Mondenard. "Tant que ces gens-là n'auront pas fait leur "coming-out" on continuera sur le même mode de fonctionnement." Et à subir parfois la loi du silence...
*Fin de cycle : Autopsie d'un système corrompu, de Pierre Ballester, éditions de la Martinière, 279 pages, 2013.