La rencontre de la 17e journée du championnat d'Egypte entre Al-Masry et Al-Alhy (3-1), à Port-Saïd, est devenue vendredi le quatrième match le plus meurtrier de l'histoire, avec un bilan de 74 morts et 188 blessés. Champion chaque année depuis 2005, Al-Ahly est le club le plus titré d'Egypte (36 fois champion) et l'un des plus grands d'Afrique, avec notamment deux Ligues des champions arabes à son palmarès (1996, 1997). Frénésie de la victoire d'un côté, frustration de la défaite de l'autre, les germes d'un affrontement étaient présents.
Les incidents débutent au coup de sifflet final, après sept minutes de temps supplémentaire, lorsque les supporters du club local d'Al-Masry envahissent le terrain après la victoire de leur équipe. Selon certains témoins, ils souhaitent en découdre après que les fans d'Al-Ahly ont déployé une banderole insultante. La valeur de l'exploit sportif a pu jouer aussi : Al-Masry venait de faire tomber les Diables Rouges, équipe phare de la capitale, pour la première fois de la saison.
Les fans d'Al-Masry prennent d'assaut le terrain :
Après être descendus de leur virage, les supporters d'Al-Masry pénètrent sur la pelouse, certains pour féliciter leurs joueurs et entraîneur, d'autres, les plus nombreux, pour aller frapper les membres de l'équipe d'Al-Ahly, en maillot rouge. "J'ai reçu des coups de pied et des coups de poing, mais je vais bien", a confié jeudi Manuel José de Jesus, l'entraîneur d'Al-Ahly, au quotidien portugais A Bola. "Je ne pouvais pas revenir vers notre vestiaire, qui était rempli de supporters de notre club, morts ou blessés. C'était incroyable."
Sur les images, on voit les fans d'Al-Masry se ruer littéralement vers le virage des supporters d'Al-Ahly. En tentant de quitter le stade sous les pierres et les bouteilles, les supporters des Diables Rouges, qui étaient plusieurs milliers à avoir fait le déplacement dans le nord du pays, sont alors été victimes d'un vaste mouvement de foule. Le ministre de l'Intérieur, Mohammed Ibrahim, a assuré que "la majorité des personnes tuées avaient été écrasées". Mais les supporters adverses auraient également utilisé des armes blanches pour blesser et tuer.
La police montrée du doigt
Dans le déroulement des incidents, un élément interpelle : le manque de réaction des forces de l'ordre présentes autour de la pelouse. Les vidéos et les témoignages concordent : les supporters d'Al-Masry n'ont eu aucun mal à pénétrer sur le terrain pour se diriger vers le virage adverse. De là, émerge l'idée d'un complot. Et si les policiers avaient laissé faire les supporters d'Al-Masry ? Car leurs "adversaires" du soir, les Ultras d'Al-Ahly, ont un poids politique non négligeable depuis le début de la révolution, qui a conduit au départ de Hosni Moubarak du pouvoir en février 2011.
Proches des mouvements révolutionnaires, les Ultras ont protégé les manifestants hostiles à Moubarak sur la place Tahrir. Ils ont également joué un rôle clé lors de la "bataille des chameaux", lorsque des partisans du président déchu avaient lancé des animaux sur les manifestants.
Quelques heures seulement après les affrontements de Port-Saïd, les Frères Musulmans n'ont pas tardé à pointer la responsabilité des proches de l'ancien chef d'Etat. "Les événements de Port-Saïd ont été planifiés et sont un message des partisans de l'ancien régime", a ainsi déclaré le député Essam al-Erian dans un communiqué publié sur le site internet du Parti de la liberté et de la justice (PLJ).
"Les Ultras étaient la cible"
Mais les proches de Moubarak ne sont pas les seuls ennemis des Ultras. Depuis quelques semaines, ceux-ci s'opposent à Mohamed Hussein Tantaoui, le chef du Conseil suprême des forces armées (CSFA), actuellement au pouvoir en Egypte. Ainsi, dans les stades du pays, les Ultras ont popularisé quelques slogans vindicatifs contre le pouvoir en place : "police militaire, vous êtes des chiens tout comme le ministère de l'Intérieur. Ecrivez cela sur le mur des prisons, à bas le régime militaire."
Pour certains observateurs ou habitants de Port-Saïd, il n'y a aucun doute. Les incidents de mercredi soir ont été planifiés afin d'étouffer la contestation et ce, quelques jours seulement après la fin de l'état d'urgence, décrété le 25 janvier dernier.
"Les Ultras étaient la cible", confie ainsi un commerçant de Port-Saïd. "C'était un coup monté, un massacre. Le Conseil militaire et les forces de sécurité sont les seuls responsables de ces événements." Dans la nuit de mercredi, le contingent de supporters d'Al-Ahly a fait son retour au Caire en train, sous les slogans hostiles au pouvoir. L'épreuve qu'ils viennent de subir ne semble avoir entamé ni leur foi dans club d'Al-Ahly ni dans la révolution.