Vendredi, le ministère suisse de la Justice a annoncé l'ouverture d'une "procédure pénale" contre le président de la Fifa, Sepp Blatter, pour "soupçon de gestion déloyale" et "abus de confiance". Parmi les éléments avancés par la justice, figure notamment un versement suspect d'un montant de 2 millions de francs suisses à Michel Platini, soit 1,8 million d'euros. Pour la première fois depuis le début du scandale qui éclabousse la Fifa, le dirigeant français se retrouve en première ligne.
Platini a "déjà échoué". "Sur Platini, jusqu'à ce que je vois un document, une preuve concrète, je ne peux pas vraiment me forger d'avis fiable sur ce qu'il a fait à ce niveau", commente au micro d'Europe 1 le journaliste britannique Andrew Jennings, auteur de l'enquête Le scandale de la Fifa*. "Cependant, je pense que Platini s'est rendu coupable de quelque chose de plus grave. Intéressons-nous aux dix dernières années : scandales après scandales, avez-vous entendu la voix de Michel Platini ? Il fait partie du comité exécutif de la Fifa, dont il est l'un des vice-présidents, donc il a une responsabilité morale envers le football, mais il n'a rien fait. Pour moi, il a déjà échoué. Pourquoi ne joue-t-il pas son devoir moral ? Il ne fait pas partie des héros dans cette histoire."
Platini joue en défense. Concernant ces deux millions de francs suisses qu'il a reçus en février 2011, Michel Platini a évoqué un "montant versé pour un travail accompli de manière contractuelle pour la Fifa" entre 1999 et 2002, au moment où il était le conseiller football de Blatter. Lundi, le président de l'UEFA a indiqué avoir "entièrement déclaré ces revenus aux autorités, conformément à la loi suisse" et avoir écrit "à la commission d'éthique de la Fifa pour lui demander de (l)'entendre afin de fournir toutes les informations supplémentaires qui pourraient être nécessaires afin d'éclaircir cette question si besoin était". En août dernier, Platini avait déjà dû jouer en défense après l'émergence d'un article "Platini : un cadavre dans le placard", écrit par un proche de Blatter...
Pour notre éditorialiste Dany Cohn-Bendit, "Blatter a contaminé tout le monde" :
Dans cette affaire, le timing du paiement, près de dix ans après la fin de la prestation, interroge : c'est juste après la désignation de la Russie et du Qatar comme pays organisateurs des Mondiaux 2018 et 2022, et juste avant la réélection de Blatter à la tête de la Fifa. "Michel Platini a dit qu'il n'avait pas besoin de cet argent et que c'est pour cette raison qu'il ne l'avait pas réclamé", explique au micro d'Europe 1 Pim Verschuuren, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques, spécialiste du football. "Forcément, ça peut paraître un peu louche, surtout que ce paiement intervient quelques mois avant la réélection de Blatter soutenue par l'UEFA et donc par Michel Platini. L'argument principal de Platini dans sa campagne pour la présidence de la Fifa est de dire qu'il n'est pas du système. Mais ses opposants ont beau jeu de souligner qu'il vient justement du système, qu'il est vice-président du comité exécutif de la Fifa depuis 2002, qu'il est protégé de Blatter depuis 1998 et qu'il est président de l'UEFA depuis 2007. Et ce transfert d'argent confirme qu'il y avait des liens plus qu'amicaux entre les deux hommes."
"Il y avait des liens plus qu'amicaux entre Blatter et Platini" :
Des "informations sérieuses". Lundi, les avocats de Blatter ont insisté sur le fait que ce dernier n'avait "rien fait d'inapproprié ou d'illégal" : "Le président Blatter a parlé avec les autorités suisses vendredi du fait que Monsieur Platini avait une relation d'employé avec la Fifa, servant de conseiller du président à partir de 1998. Il a expliqué au procureur que les paiements étaient un rétribution justifiée et ont été comptabilisés de façon appropriée au sein de la Fifa, y compris avec la retenue des charges sociales".
Par la voix de ses avocats, le dirigeant suisse a également confirmé qu'il allait rester à son poste de président de la Fifa jusqu'à l'élection prévue le 28 février prochain. Platini, qui fut le protégé de Blatter lors de ses débuts de dirigeant avant d'en devenir le premier pourfendeur, pourra-t-il se présenter à cette élection sans encombre ? Peut-il être déclaré inéligible par la commission d'éthique de la Fifa, censée être indépendante ? "Pour moi, ces informations concernant Platini sont sérieuses", estime Andrew Jennings. "Le juge n'est pas un cow-boy et pourtant, il a décidé de nommer Platini, donc il y a quelque chose qui se passe..."
*Le scandale de la Fifa, Andrew Jennings, Seuil, 432 pages, 21 euros