En quarante minutes mardi soir, Pep Guardiola a fait taire les sceptiques. Battu 3-1 par le FC Porto en quarts de finale aller de la Ligue des champions, "son" Bayern Munich a mis moins d'une mi-temps pour infliger une "manita" (cinq buts) à son adversaire portugais et s'assurer une présence en demi-finales de la C1 pour la quatrième fois de suite, lors du match retour, mardi soir (6-1, score final). De son côté, Guardiola, entraîneur du Barça entre 2008 et 2012, atteint le dernier carré de la Ligue des champions pour la sixième fois. En six participations et ce, sans jamais changer sa philosophie de jeu. Celle-ci se trouve au cœur de Guardiola, éloge du style*, un ouvrage qui sort jeudi et qui ne pouvait pas mieux tomber. Thibaud Leplat, déjà auteur de jolis travaux sur la rivalité Real-Barça et sur José Mourinho, boucle la boucle avec ce livre qui tranche avec la production actuelle. S'y côtoient des légendes des bancs de touche mais aussi des penseurs et philosophes comme Edgar Morin. Europe 1 a interrogé l'auteur qui nous aide à percer cet étonnant Pep Guardiola, en course cette année pour remporter une troisième Ligue des champions.
"Le Bayern a écrasé Porto, avec notamment un score de 5-0 à la mi-temps. Est-ce là l'un des plus grands exploits de la carrière d'entraîneur de Pep Guardiola ?
C'est en tout cas l'exemple de ce qu'est le football selon Guardiola, un football au bord de l'abîme. Le Bayern proposait presque la même composition d'équipe qu'à l'aller. Et cette équipe, qui avait perdu 3-1 en commettant un certain nombre d'erreurs presque infantiles, a été capable de mettre 6 buts au match retour, dont 5 en 40 minutes. Ça, c'est le propre du foot selon Guardiola. C'est aussi le défaut de son football au Bayern, beaucoup plus qu'à Barcelone. Au Bayern, Guardiola a beaucoup plus de mal à contrôler les enjeux du match. Quand le Bayern est mené, il a toujours du mal à revenir. Il y a une gestion émotionnelle beaucoup plus difficile, ce qui explique des courbes de résultats très étranges, avec des défaites 4-1 (comme à Wolfsburg en janvier) et des victoires 7-0 (comme contre le Chakhtior Donetsk en huitièmes de finale retour de la Ligue des champions).
Comment peut-on l'expliquer ?
Il y a une part culturel au niveau du jeu. Guardiola est quelqu'un qui prêche quand il entraîne. C'est quelqu'un qui
cherche à convaincre ses joueurs des bienfaits de ses thèses, à convaincre les dirigeants de lui laisser du temps et à convaincre les supporters d'aimer ce football-là. D'ailleurs, quand on parle de Guardiola, on parle toujours d'un style de jeu. C’est peut-être d'ailleurs le seul entraîneur au monde où l'on sait avant chaque match comment il va jouer. Et qui, malgré tout, parvient à surprendre. C'est le propre de Guardiola, c'est ce qui fait de lui un auteur. Guardiola, c'est un football d'auteur, où l'on sait ce que l'on va voir, comme on irait voir le dernier Tarantino au cinéma.
Si vous deviez définir ce style Guardiola en quelques mots ?
C'est le football au bord du gouffre. Comme on se promènerait en haut d'un précipice sans regarder en bas, mais tout en s'assurant de ne pas y tomber. Lors du match d'hier (mardi), il y a eu des phases de jeu où le Bayern a évolué avec quatre ou cinq attaquants. Ce sont des choses qu'aucune autre équipe ne fait. Même le Barça de son époque ne le faisait pas. (Philipp) Lahm hier (mardi) n'a pas joué ni arrière droit ni milieu droit, il a joué ailier droit. Il y avait parfois cinq ou six joueurs du Bayern dans la surface. Ça ressemble un peu à la technique Bielsa (entraîneur de l'OM, ndlr) mais en plus évolué. c'est en revanche la même idée : celle qu'il n'y a que le football d'attaque qui compte.
C'est un style qui a été critiqué à la fin de son passage à Barcelone. Comment peut-on l'expliquer ?
Hier (mardi), (Robert) Lewandowski a marqué un but après 27 passes, soit le nombre de passes le plus élevé avant un but en Ligue des champions cette saison. Et quand on voit des phases de jeu qui peuvent durer une minute, une minute trente, on a le temps de trouver ça ennuyeux. Mais il y a une mauvaise interprétation du football de possession qui consiste à dire que la possession pour la possession est un football stérile. Evidemment, le danger de ce football-là est d'être un football stérile. Mais comme le danger du football de contre-attaque est de ne jamais sortir de sa surface. Après, c'est une affaire de goût. On a le droit de ne pas aimer ce football-là mais on n'a pas le droit de le dénigrer parce que c'est un football beaucoup plus exigeant que le football de contre-attaque. En effet, il demande la coordination de 11 joueurs alors que le football de contre-attaque demande tout au plus la coordination de 3 ou 4 joueurs. Donc entraîner à ce genre de football est beaucoup plus exigeant et beaucoup plus dangereux aussi parce que l'entraîneur expose davantage son équipe.
Vous avez également écrit un ouvrage sur Mourinho**. Pourquoi Guardiola ne jouit-il pas de la même reconnaissance médiatique ?
Parce que le circuit médiatique fonctionne sur la polémique et que Mourinho est très fort là-dedans. Guardiola, c'est un homme de la nuance, j'allais presque dire de l'intelligence. Ce qui est admirable chez Guardiola, c'est son effort de civilité. Evidemment, dans une société médiatique, ne pas dire tout ce qu'on pense et tâcher d'être responsable et bien élevé est beaucoup moins vendeur. Guardiola a une part d'ombre, beaucoup plus que Mourinho. Mourinho va d'un point A à un point B. Guardiola est quelqu'un qui doute énormément. C'est quelqu'un qui, je trouve, est beaucoup plus humain que Mourinho, paradoxalement. On aimerait bien être Mourinho, être une grande gueule, n'avoir peur de personne mais en réalité, on ressemble tous plus à Guardiola qu'à Mourinho.
Comment voyez-vous la suite de sa carrière ?
Il est dans la deuxième de ses trois années de contrat au Bayern. Il a confirmé qu'il resterait l'année prochaine. Mais je pense qu'il partira ensuite de Munich pour aller en Angleterre parce que l'Angleterre fait partie de sa grande déception de joueur. Il n'a jamais pu y jouer. Il y a des sièges qui peuvent se libérer et il y a là-bas un réel respect du manager. Guardiola a choisi le Bayern pour ça. Le Bayern a pris le temps de lui assurer un certain nombre de choses. Guardiola, c'est un peu comme Bielsa. Pus qu'à l'argent, il accorde de l'importance au soutien des dirigeants, notamment dans la défaite. Et, sur ce plan-là, il y a un certain nombre de clubs en Angleterre qui ont apporté la preuve qu'ils pouvaient faire confiance à leur entraîneur, même si celui-ci n'a rien gagné pendant très longtemps (On sent ici l'allusion à peine voilée à Arsène Wenger à Arsenal, ndlr)...
Est-ce que le vrai défi pour Guardiola ne serait pas d'entraîner une équipe d'un calibre inférieur au Barça ou au Bayern ?
Il y a toujours avec Guardiola cette idée d'imposture, de sous-entendu qui consiste à dire, comme dans votre question : 'non mais Guardiola, c'est bien, mais c'est facile'. Il faut rappeler qu'en 2007, quand il arrive au Barça, il reconstruit l'équipe en sortant Deco et Ronaldinho. Après la défaite de la semaine dernière à Porto, on parlait déjà de crise, que le Bayern n'était pas à la hauteur de sa réputation. Après une demi-heure mardi, les mêmes personnes qui tenaient ce discours couvraient le Bayern d'éloges. Non, Guardiola n'a rien à prouver de plus que les autres. Ce qu'il a fait de plus beau peut-être, c'est de gagner le titre de troisième division en jouant ce football-là avec la réserve de Barcelone. Il le dit d'ailleurs. Je pense que pour apprécier Guardiola, c'est un peu comme les grands chef-d’œuvres de l'histoire de l'art ou du cinéma, il faut prendre le temps. Quand vous regardez du Fritz Lang (réalisateur entre autres fils de Metropolis, ndlr), au début, c'est dur. Il n'y a pas de dialogue. Mais il faut prendre le temps de regarder, avoir un petit peu de patience. J'espère qu'après la lecture de mon livre, les gens auront le même plaisir que moi à regarder n'importe quel match du Bayern, pas seulement un Bayern-Porto mais aussi un Bayern-Hoffenheim."
*Guardiola, éloge du style, Thibaud Leplat, Hugo Sport, 251 pages, 16,50 euros, disponible jeudi 23 avril
**Le cas Mourinho, Thibaud Leplat, Hugo Sport, 220 pages, 16,50 euros, sorti en 2013
>> LIRE AUSSI : Guardiola, nouveau Bavarois