Harinordoquy: "On s'est senti fort"

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Propos recueillis par SYLVAIN LABBE Br De Sports.fr , modifié à

Recordman des Grands Chelems encore en activité avec désormais trois consécrations à son actif (*), Imanol Harinordoquy aura survolé ce Tournoi 2010 derrière un pack "monstrueux" jusqu'à l'apothéose d'une victoire au forceps face à ces chers ennemis anglais. A 30 ans, le Basque savoure ce bonheur et se projette déjà vers l'avenir.

Recordman des Grands Chelems encore en activité avec désormais trois consécrations à son actif (*), Imanol Harinordoquy aura survolé ce Tournoi 2010 derrière un pack "monstrueux" jusqu'à l'apothéose d'une victoire au forceps face à ces chers ennemis anglais. A 30 ans, le Basque savoure ce bonheur et se projette déjà vers l'avenir. Imanol, que vous inspire ce troisième Grand Chelem personnel après ceux de 2002 et 2004 ? Ce n'est pas ce que je retiens, disons que je ne regarde pas trop derrière. J'ai envie de savourer le moment présent. Bien sûr, j'en avais très envie, comme tout le monde, sinon on ne serait pas allé le chercher parce que ce match face aux Anglais, c'était dur. Mais trois Grands Chelems, je ne pense pas que j'aurais trop de regrets, quoi... Si on avait perdu, alors là oui, j'aurais eu des regrets. Dès votre entrée sur la pelouse samedi, on vous a vu toucher le trophée... Oui, j'avais envie de lui dire à tout à l'heure. C'est sûr que je le voulais, c'était une petite superstition. Ça a joué, peut-être après tout, on n'a gagné que de deux points (rires). Vous avez eu peur sur ce match face aux Anglais ? Oui. Quand Jonny Wilkinson passe sa pénalité des 45 ou 50 mètres en coin, j'ai vu quelques nuages sombres foncer sur le toit du Stade de France, ça ne m'a pas trop plu. Non pas que j'ai un pressentiment, mais je savais qu'il ne fallait pas trop lui donner sa chance. "Je ne leur ai pas dit : "Good game !", je me suis contenté du "Sorry."..." Avez-vous eu le sentiment de revivre la demi-finale de la Coupe du monde 2003 à Sydney, sous la pluie déjà ? Non, ce n'était pas pareil, on s'y attendait et on s'était préparé à ces conditions climatiques, même si depuis des mois, on ne s'était pas entraîné avec la pluie. Forcément, ça promettait d'être plus compliqué pour notre jeu, mais on savait que ce serait un match de besogneux, rugueux, dans lequel les Anglais se complaisent. Je crois qu'on a quand même répondu présents. Les avez-vous gratifié du traditionnel "Sorry. Good game !" ? Non, je me suis contenté du "Sorry !" Vous aviez déclaré avant le match que vous ne les appréciez pas trop. Avez-vous senti un contrat qui pesait sur vous tout au long de la rencontre ? (Sérieux) Non, non, il n'y en a pas un qui m'a touché... (le Basque se fera tout de même poser dix points de suture sur le front après la rencontre, ndlr) Vous avez été tous ensemble au bout de cette aventure, vous l'avez fêtée comme il se doit ? C'est bien de valider tout ce qu'on a fait ensemble, de fêter ça tous ensemble parce qu'on joue et on s'entraîne, et on est sérieux toute l'année pour vivre des moments comme ça. Si on vous dit que vous avez démontré un pragmatisme à l'anglaise, que votre victoire elle-même porte les qualités d'un succès l'anglaise, ça vous dérange ? Oui, c'est vrai. On ne pouvait pas produire énormément de jeu sur les largeurs, on ne pouvait pas énormément déplacer le ballon étant données les conditions. Il fallait jouer devant, il fallait jouer au près, alors, oui, pour toutes ces raisons, on peut dire qu'on a accompli un match à l'anglaise. Enfin, si on peut dire, parce que je crois aussi qu'on a su s'adapter à pas mal d'équipes. Donc finalement, ça peut devenir un match à la française. Votre regard sur cette mêlée tricolore... On s'est appuyé dessus, on revient dans le match grâce à elle, on les a tout le temps mis à mal, même si on a obtenu, je crois, qu'une seule pénalité ou deux. Sur la fin du match, l'arbitre n'a plus trop arbitré la mêlée, alors que ça nous aurait fait du bien sur la fin d'obtenir une pénalité pour décrocher les Anglais. On a insisté, mais l'arbitre n'a rien donné. On se rend compte que c'est une arme, qu'on y laisse beaucoup d'énergie et que ça n'est pas toujours récompensé dans ce Tournoi. Mais il est sûr que lorsqu'on avance en mêlée, en face ils y laissent des plumes. C'est là qu'on s'est senti fort. Ces Anglais vous ont-ils surpris par leurs intentions de jeu ? On a été un peu surpris en début de match ; il faut dire qu'on avait à faire à un arbitre du Sud, qui avait clairement annoncé qu'il ne voulait pas de « contests » dans les rucks. Donc en début de match, je crois qu'on n'a pas contesté un ballon dans les cinq premières minutes, si bien que le ballon sortait vite côté anglais, ils arrivaient lancés comme des frelons et on les prenait dans le buffet. Ils jouaient en avançant et c'est pour ça qu'on prend un essai. On commençait à défendre moins collectivement. Dès qu'on s'est remis à les contester, ça les obligeait à consommer quelques joueurs de plus et nous a permis d'être mieux organisés en défense. Un groupe existe quand il gagne En quoi ce Grand Chelem est-il différent que les deux premiers ? J'allais dire qu'il est mieux parce que les deux premiers, je les ai eus quand même rapidement, je pensais qu'on pouvait en faire chaque année, ou tous les deux ans et finalement ça faisait six ans qu'on ne l'avait pas gagné. Et je pense que ça sera de plus en plus dur vu la qualité des équipes et le niveau qu'atteint le Tournoi. Cette année s'y prêtait, même s'il a fallu aller gagner en Ecosse et au Pays de Galles, mais ça arrivera moins souvent. C'est dans ce sens que je le savourerai plus que les autres. A 30 ans, en pleine maturité, vous êtes vous déjà senti aussi fort qu'actuellement ? Comme je le disais, lorsque vous jouez derrière un pack comme celui que j'ai eu durant ce Tournoi, c'est un peu plus facile pour un n°8. Le boulot s'en trouve facilité, ça te met en confiance. J'ai aussi plus d'expérience, plus de maturité, moins d'appréhension, je me pose moins de questions sur les matches, depuis un an, je ne me soucie pas de mal faire, je regarde devant. Vous sentez un pack particulièrement soudé ? C'est un pack de guerriers, ça ne lâche jamais rien en mêlée, en touche, dans le combat, dans les rucks, on sent une grosse solidarité, l'envie de bien faire, plus de discipline aussi. C'est un pack gaillard, monstrueux pour reprendre l'expression de mon capitaine. William Servat dit que de ce groupe qu'il existe enfin... Un groupe existe quand il gagne. Cette équipe se construit, elle apprend à chaque sortie, la marge de progression reste importante, même si on a fait de bonnes choses dans ce Tournoi, d'autres moins bien aussi, mais lorsqu'on menait aussi au score, donc elles portaient moins à conséquence. Face aux Anglais, on a été menés, on a su revenir dans la partie. C'est encore une nouvelle expérience pour nous, on ne s'est pas affolé, on a su revenir dans le match. Quand on a repris le score, on a encore fait preuve d'un manque de patience, mais ce groupe existe, oui, il est vivant, il a envie d'exister et surtout de gagner des choses. Il y a autre chose qui réunit ce groupe au-delà des victoires... Bien sûr, mais les victoires, ça soude encore plus. Quand tu gagnes, tout est tellement plus facile. Aujourd'hui, on gagne ce Tournoi, mais c'est aussi la concrétisation des défaites passées, qui nous ont fait mal au moral. On a appris et petit à petit, on construit. Si vous deviez ne garder qu'une seule image de ce Tournoi... Notre défense... (*) Harinordoquy compte trois désormais Grands Chelems (2002, 2004 et 2010) à son palmarès, ainsi qu'une victoire dans le Tournoi 2007. Il n'est plus devancé que par Olivier Magne et Fabien Pelous (4).