Pour Henri Leconte, Roland-Garros a été un lieu énigmatique dans sa riche carrière: incompris par le public, «Riton », consultant pour Eurosport durant la quinzaine, a tout de même atteint la finale de l'édition 1988, battu par Mats Wilander. Aujourd'hui, il reconnaît que ce tournoi est très particulier pour les Tricolores. Leconte nous donne ici son avis sur les potentielles chances françaises pour cette année. Henri, qu'elle est votre opinion sur le fait que les Français n'arrivent pas à réussir de grandes performances à Roland-Garros ? Je pense qu'ils ont tous peur de Roland. Il y a tout de même une exception : Gaël Monfils. Un jour je discutais avec lui et il m'a dit : "Moi, je veux jouer à Roland et c'est tout". Je pense qu'il est capable de le faire. Gaël adore défendre et son jeu se prête parfaitement à la terre battue. Gilles aussi a peut-être ses chances, c'est un marathonien, un joueur d'échecs. Pour réussir sur terre, il faut être percutant. Mais pour ce qui est des autres Français, ils se mettent une pression énorme. Ils ont vite envie que cela se passe. Moi je l'avoue, je «chiais dans mon froc» avant de rentrer sur le court. Il y a des joueurs qui sont galvanisés par l'idée de jouer à domicile, et d'autres qui se paralysent dans l'enjeu, en se donnant une pression supplémentaire. C'est à mon avis ce que ressentent la plupart des joueurs français à l'idée d'aborder Roland-Garros. Mais il faut être lucide: tant qu'on n'a pas un joueur français qui gagne un Masters 1000 sur terre battue, on ne peut pas rêver d'un futur vainqueur tricolore à Roland. Une Française peut-elle créer la surprise cette année ? Pour les filles, c'est pareil que pour les garçons, on en revient vite au même point. Elles ont leurs chances, mais la pression qu'elles s'infligent est énorme. Pour ce qui est d'Aravane, elle a besoin de temps. C'est très dur pour elle en ce moment. Elle est un peu perdue mais elle a un potentiel énorme. Quand elle rentre ses coups droits, elle joue Top 10. Il faut donc être patient. De toute façon, la clé d'un bon Roland-Garros reste la préparation. Justement, quelle est pour vous la meilleure préparation possible avant d'aborder le grand rendez-vous parisien ? Pour moi, il faut faire l'impasse sur Miami ou Indian Wells. Il s'agit certes de très beaux tournois, mais ils sont très mal placés dans le calendrier. Je me rappelle que j'arrivais parfois cramé à Roland à cause de cette tournée américaine avant celle sur terre battue. Ensuite, les joueurs doivent mieux se préparer, ils doivent faire l'effort. On a souvent critiqué la Fédération sur le fait qu'il n'y avait pas assez de courts en terre battue en France. Je pense que la Fédé a fait son boulot, c'est maintenant aussi aux joueurs de faire la préparation mentale et physique nécessaire pour réaliser un bon tournoi. Concernant Jo-Wilfried Tsonga, peut-il continuer à jouer sans entraîneur ? Jo avait besoin de faire le point avec Eric (Winogradsky, nldr.) De toute façon, ils sont liés à vie de par l'expérience humaine qu'ils ont vécue tous les deux. Jo va trouver la solution, il faut qu'il fasse le point avec lui-même avant de repartir vers l'avant. "Pour perturber Rafa, il faut prendre la balle très tôt" Venons-en maintenant à la question que tout le monde se pose : Nadal va-t-il remporter son sixième Roland-Garros ? Je pense que Nadal est intouchable. C'est l'ogre de la terre battue. Il est très fort et il dispose surtout d'une emprise psychologique impressionnante sur ses adversaires. C'est un cancer ce mec (Rires). Certes, il n'est pas aussi impressionnant que l'année dernière, mais il joue sur une surface qu'il adore, alors ce sera très difficile de l'empêcher de gagner cette année. Novak Djokovic a tout de même son mot à dire cette année pour venir perturber Nadal dans son jardin... Je pense que Djokovic a les armes pour venir chatouiller Nadal. Mais il faut surtout prendre en considération que Roland-Garros, c'est trois voire cinq sets sur la surface la plus exigeante du circuit. Et physiquement, Nadal est très impressionnant. Pour perturber Rafa, il faut prendre la balle très tôt, comme l'avait fait Söderling en 2009. Sinon, tu es condamné à visiter le court de long en large. Il faut prendre tous les risques pour le provoquer. Tout peut arriver à Roland-Garros, car c'est un des tournois les plus durs à gagner. Il faut aussi penser à Murray, qui a repris son souffle à Monte-Carlo. Je pense que le tournoi sera très ouvert. Quant à Roger Federer, est-t-il encore possible de le voir briller du côté de la Porte d'Auteuil ? Federer n'est pas mort. On ne gagne pas 16 Grands Chelems en claquant des doigts. Psychologiquement, il est vrai qu'il accuse un peu le coup en ce moment. Le jeu va un peu plus vite, donc cela l'a un peu perturbé. Il faut qu'il modifie son jeu, donc cela prend du temps. Quels souvenirs gardez-vous de vos Roland-Garros ? J'en garde de très bons souvenirs, notamment en 1992 contre Nicklas Kulti. Après, il y a cette finale perdue en 1988 contre Mats Wilander. Honnêtement, j'aurais préféré perdre en demie, voire dès le premier tour, plutôt que de connaître ce sentiment de frustration en finale. Mais Mats reste un pote, alors que tout le monde croit que je ne l'aime pas. C'est un énorme champion, je ne lui en veux pas du tout (Rires).