Les coups de bec de Lièvremont

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RUGBY -

L'ancien sélectionneur raconte son Mondial 2011 dans Cadrages et débordements.

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En septembre dernier, lors de la Coupe du monde de rugby, le grand public a découvert Marc Lièvremont. Personnage énigmatique et charismatique, il a mené les Bleus en finale au fil d'un parcours chaotique, entre défaite humiliante face aux Tonga et fol espoir de soulever le Trophée Webb-Ellis, face aux All Blacks, chez eux, à domicile. Dans un livre intitulé Cadrages et débordements*, co-écrit avec l'ancien journaliste de L'Equipe Pierre Ballester, l'ancien sélectionneur du XV de France nous donne sa version de la compétition et évoque son parcours personnel. "C'est un ouvrage à son image, sincère, un peu mystérieux, et parfois paradoxal", estime Guilhem Garrigues, qui a suivi les Bleus lors du Mondial, l'an dernier, pour Europe 1. Tentative d'explication à travers cinq extraits marquants.

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La défaite en finale. "Je suis un gouffre de vide au fond duquel un torrent de sentiments s'est dissous. La notion de fatalité commence à combler son apesanteur. Après la hargne, l'espérance, la révolte et le supplication, c'est la dernière étape avant l'acceptation." Avec beaucoup d'émotion, Marc Lièvremont raconte les minutes qui ont suivi la défaite de l'équipe de France face à la Nouvelle-Zélande : un court revers (8-7) qui a laissé à beaucoup un goût amer. Et s'il évoque au détour d'une page l'entêtement de l'arbitre de la rencontre, M. Craig Joubert, à ne pas voir (avant puis pendant le match) les multiples irrégularités des All Blacks, Lièvremont opte pour le récit introspectif. Et conclut l'évocation de ce singulier après-match par une confession. En retrouvant sa femme et l'un de ses fils, il a "chialé comme il n'a jamais chialé".

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L'épisode des "sales gosses". Marc et les "sales gosses", un bon titre de fiction, et l'un des feuilletons du Mondial 2011. Juste après la qualification pour la finale, Lièvremont avait brocardé ses joueurs, après leur avoir déjà lancé quelques piques après la déconvenue face aux Tonga. A l'époque, le sélectionneur avait expliqué avoir affaire à une "bande de sales gosses individualistes, désobéissants, égoïstes parfois, toujours à se plaindre". Dans son ouvrage, il explicite les choses. "Je vois sans arrêt l'un ou l'autre râler sur la qualité de la bouffe, sur le contenu d'un entraînement, sur le trajet de bus qui est trop long, sur la tapisserie de la chambre..." Lièvremont regrette de ne pas avoir réussi à créer un état d'esprit au sein d'un groupe trop éclaté. Des choses qu'il avait déjà dites, pour la plupart, en conférence de presse. "C'est ce qu'on peut reprocher à cet ouvrage", estime Guilhem Garrigues. "Il avait déjà livré ses sentiments en Nouvelle-Zélande. On aurait aimé davantage d'anecdotes ou de coulisses". En homme de vestiaire, l'ancien international a sans doute jugé bon de ne pas tout dire.

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La mise à l'écart de Trinh-Duc. Ce fut son principal choix tactique lors de la Coupe du monde. Imposer une charnière composée de deux demis de mêlée de formation, avec Dimitri Yachvili et Morgan Parra. Victime sur le terrain, François Trinh-Duc l'est aussi dans le livre. L'ouvreur de Montpellier est ainsi au cœur de quelques saillies savoureuses : "j'adore François dans ses grandes largeurs, mais c'est la longueur du terrain qui m'importe en pareil cas" ou encore "L'inspiration, c'est bien, mais la transpiration, ça compte aussi". Lièvremont explique surtout que Trinh-Duc a été victime de l'implication de Parra, un "compétiteur-né, tant sur le terrain qu'à l'entraînement". Revenu aux affaires (et au poste de titulaire) avec Philippe Saint-André, face à l'Italie, samedi dernier, Trinh-Duc a peu goûté ces attaques ciblées. "Ses vérités ne correspondent en aucun cas à ce que j'ai pu vivre avec mes coéquipiers durant cette fantastique aventure", a réagi le Montpelliérain dans un communiqué de presse transmis dimanche. "Je n'ai, pour ma part, jamais galvaudé le bonheur et la fierté de porter le maillot de l'équipe de France durant cette Coupe du Monde."

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Les critiques de la presse. Du fameux "Tu m'emmerdes avec ta question" au "Tu peux quitter la salle", les coups de sang du sélectionneur en conférence de presse ont nourri la chronique du Mondial. Mais, ce n'est pas tout. Dans son livre, Lièvremont explique l'existence d'un rituel qui consistait à afficher les articles assassins sur les murs de la salle de vie du groupe France. "Les joueurs s'y mettent aussi, punaisent à tour de bras les éditos cinglants, les chroniques outrancières en français et en anglais", raconte-t-il. Car le fameux New Zealand Herald n'est pas le seul à avoir les "honneurs" de Lièvremont. L'Equipe et Midi Olympique, surnommé "le médicament", en prennent aussi pour leur grade. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Lièvremont a récemment décidé d'être consultant pour deux quotidiens généralistes, l'un national, Le Monde, et l'autre régional, Sud Ouest. Il y a dans cette relation d'attraction-répulsion avec la presse quelque chose qui rappelle Raymond Domenech, qui, comme lui, a échoué tout près d'un titre mondial après un étrange parcours (en 2006, pas en 2010...). Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le nom de Domenech revient parfois au détour d'une réflexion...

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Son engagement avec la Fédération. Après avoir raconté les événements de la dernière Coupe du monde, Lièvremont revient sur ce qui a précédé : sa carrière, ses débuts d'entraîneur, ses quatre ans à la tête des Bleus. "Ce sont sans doute les pages les plus intéressantes du livre", estime Guilhem Garrigues. "Is se livre alors à cœur ouvert sur son intimité, ses choix, et notamment celui de devenir sélectionneur de l'équipe de France." Cela ne fut visiblement pas une évidence. Alors engagé contractuellement avec Dax, Lièvremont avait visiblement peur de la lourdeur du poste, qui lui fut proposé par le président de la Fédération française de l'époque, Bernard Lapasset. "Il y a tous ces compromis que la fonction de sélectionneur induit en permanence, les couleuvres que je ne me sens pas capable d’avaler. J’évoque la lourdeur d’une institution, les choix des hommes et des lignes de conduite qui promettent des bagarres inévitables ou des contentieux latents, des inimitiés qui ne manqueront pas de se faire jour avec les dirigeants des clubs professionnels." En 2007, Lièvremont avait déjà tout compris des difficultés qui l'attendaient. Mais certainement pas anticipé qu'il écrirait un jour un livre autour d'une finale de Coupe du monde perdue pour un point face aux Blacks.

*Cadrages et débordements, Marc Lièvremont (avec Pierre Ballester), Editions de la Martinière, 240 pages, 18 euros, sorti le 9 février.