A l'image de son capitaine, frustré à ses côtés, Marc Lièvremont ne pouvait samedi, à La Mosson, se satisfaire pleinement de la victoire au forceps (15-9) arrachée aux Argentins. Un sélectionneur à la fois déçu que le travail de ses avants n'ait pas trouvé sa juste récompense avant le repos et plus encore navré de la déliquescence du jeu tricolore dans une seconde période totalement inaboutie. La synthèse espérée reste une vue de l'esprit... Marc que retenez-vous de cette courte victoire (15-9) sur cette équipe d'Argentine ? La victoire d'abord, et malgré tout, le sentiment que les efforts des gars en première période n'ont pas suffisamment été récompensés ; dû au fait en premier lieu du courage des Argentins, qu'ils ont longtemps plié sans jamais rompre, qu'ils ont été mis régulièrement à la faute sans que l'on concrétise, dû aussi à pas mal de déchet technique dans la conservation du ballon et de la précipitation près des lignes. Je retiens le fait que cette première mi-temps malgré tout est intéressante en termes d'intentions, d'intensité aussi et d'engagement, avec une grosse maîtrise sur la première période malheureusement pas récompensée au score. Cette seconde période vous reste en travers de la gorge... En seconde période, petit à petit et même relativement vite, notre jeu s'est décousu, on a commis énormément d'approximations, dans la conquête d'abord alors qu'elle avait été quasi-exceptionnelle en première mi-temps, dans la défense, où on n'avait laissé quelques miettes aux Argentins en première mi-temps, on s'est mis à les voir y croire, comme souvent. On a vu nos joueurs se recroqueviller, multiplier les mauvais choix, flancher physiquement dès l'heure de jeu, avec une forme de stress vécu par tous, à commencer par moi en tout cas en tribunes avec ces diables d'Argentins à six points. On marquait et on se redonnait un peu d'air à neuf, ils revenaient à six... Forcément une deuxième mi-temps absolument pas aboutie et un match gagné au forceps. Evidemment, vous restez et je reste sur ce sentiment d'approximation en deuxième mi-temps. Je regrette particulièrement qu'on n'ait pas su capitaliser en première mi-temps tant la maîtrise française a été assez impressionnante face à de toujours très bons Argentins. "Il a fallu tout le courage de mes joueurs..." L'une des rares satisfactions n'est-elle pas votre défense et notamment votre discipline avec très peu de pénalités concédées ? La première mi-temps à ce niveau-là est exceptionnelle puisqu'on concède deux pénalités sur des en-avants sur du jeu au pied argentin repris en position de hors jeu, donc des situations litigieuses, même si je ne dis pas qu'elles n'y étaient pas. Et sur une de nos propres possessions en fin de première mi-temps sous les poteaux argentins... Tout ça pour dire, et c'est le paradoxe de ce match, quelque part avec une première mi-temps extrêmement aboutie, qu'on reste à l'issue de cette rencontre avec un soulagement de gagner. J'ai toujours le sentiment que l'essentiel est là, que la base est là, que rarement une équipe des Pumas avait été autant maîtrisée en première mi-temps. Et puis ce contexte psychologique particulier et cette débauche d'énergie mal récompensée ont fait qu'on a flanché pour proposer un rugby très approximatif en seconde période. Vous aligniez quasiment l'équipe victorieuse du Grand Chelem au coup d'envoi. Avez-vous retrouvé ce souffle et cet élan sur le terrain ? Oui, plutôt, en tout cas sur cette première mi-temps. J'ai retrouvé beaucoup de cohésion, une conquête aboutie, de la variation sur les lancements de jeu, même si on a manqué de patience, on avait insisté là-dessus, parce qu'on sait que ces mecs ne lâchent pas et qu'ils restent en place défensivement. On s'est trop souvent débarrassé du ballon en première mi-temps pour réellement les mettre en danger et concrétiser nos occasions. Qu'avez-vous pensé de ces Argentins que vous pourriez retrouver dans un an en quarts de finale de la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande ? Des Argentins fidèles à eux-mêmes, patients, pas forcément exceptionnels en première mi-temps, mais ils ont plié sans jamais rompre et sur ces vingt, vingt-cinq dernières minutes, on sentait qu'ils étaient près, cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, on les a vus commencer à jouer crânement des ballons, commencer à écarter des ballons et nous mettre en difficultés. Encore une fois, il a fallu tout le courage de mes joueurs pour remporter le match. "Une somme de petits détails qui sont venus polluer notre rugby" Est-ce que dans le puzzle que vous essayez de constituer au niveau des lignes arrière, est-ce que vous y voyez un peu plus clair à l'issue de ce match ? Evidemment, si on n'a pas concrétisé notre domination en première mi-temps, c'est que tout n'a pas été parfait, ceci dit, il y a eu de la variété dans les lancements de jeu, il y a eu de bonnes impulsions, à l'image de équipe, il y a eu de beaucoup de cohérence et de cohésion, qui, là aussi à l'image de l'équipe, se sont vite effrités en seconde période avec beaucoup d'approximations. On a vite paniqué, confondu vitesse et précipitation, une somme de petits détails qui sont venus polluer notre rugby. En tout cas, je crois qu'on ne peut pas reprocher à aucun des joueurs, quand on voit le bilan individuel de notre ligne de trois-quarts notamment, un manque d'investissement, voire même un manque de qualité sur ce match. Quel regard portez-vous sur la performance en n°8 d'un Sébastien Chabal qu'on a vu très actif en première période ? Je l'ai trouvé plutôt excellent et plutôt efficace, il a sans arrêt avancé, mais sur cette première période, ça a été le cas de plusieurs autres joueurs, William (Servat), Titi (Dusautoir), Jauzi (Jauzion), Roro (Rougerie)... N'y avait-il pas moyen d'être plus ambitieux dans le jeu sur ce match ? Je crois qu'on a été ambitieux dans le jeu, sincèrement, je n'ai pas trouvé qu'on avait joué un rugb y restrictif. Sur la première période, on doit construire deux mauls et uniquement dans les dix mètres argentins. On a vu beaucoup d'alternance dans notre rugby, pas mal d'impulsions ; bien sûr, je partage l'opinion générale et la déception par rapport à ces vingt ou trente dernières minutes en termes de déchet, dans la construction, dans la conquête, on a vraiment perdu le fil de notre jeu. Mais je ne crois pas que mes joueurs ont été restrictifs aujourd'hui, ils ont essayé d'impulser, même maladroitement, c'est vrai, mais je ne crois pas que ce soit un problème d'intentions de jeu. Et à la différence, n'avez-vous pas été trop ambitieux dans le jeu ? On a rarement vu Damien Traille utiliser le jeu au pied comme une arme ? Non, je ne crois pas, on avait décidé de presser ces Argentins et Damien s'est servi de son pied deux, trois ou quatre fois en première mi-temps, plutôt sur du jeu en récupération et des ballons, où on a été présents à la retombée, donc plutôt un jeu au pied cohérent ; en seconde période, on s'est trompés, mais je ne vais pas reprocher à mes joueurs d'avoir tenté et produit, même si cette seconde période me laisse un sentiment d'insatisfaction.