Une finale de la Coupe d'Afrique des nations qui se gagne aux tirs au but après une séance rocambolesque, un penalty manqué par Lionel Messi en Ligue des champions contre Manchester City, Liverpool sorti de la Ligue Europa par Besiktas sur un raté de Dejan Lovren face au gardien stambouliote, Onze mètres, la solitude du tireur de penalty* sort en librairie à un moment où le "coup de pied de réparation" a été sous le feu des projecteurs ces dernières semaines. Mais les a-t-il seulement quittés un jour ? Depuis son invention en 1890 - la Fifa vient d'ailleurs de rendre hommage à son inventeur, l'Irlandais William McCrum - et l'introduction de la séance de tirs au but 80 ans plus tard, le penalty a régulièrement déchaîné les passions.
Détaché de toute historiographie, Onze mètres préfère se concentrer sur les histoires d'hommes, d'Antonin Panenka à Roberto Baggio en passant par Mickaël Landreau. Bourré de témoignages fascinants - on vous conseille ceux sur le France-Allemagne de 1982, premier match de Coupe du monde à s'achever aux tirs au but -, Onze mètres, l'un des meilleurs ouvrages jamais publié sur le football - oui, on ose ! - est aussi une réflexion passionnante et jamais rébarbative sur la psychologie et la technique du penalty. Le journaliste anglais Ben Lyttleton y cite à plusieurs reprises Geir Jordet, un professeur norvégien qui a travaillé sur l'approche psychologique du penalty et de la séance de tirs au but, davantage que sur l'aspect technique ("Cela n'a rien à voir avec le football, c'est de la psychologie", estime-t-il). Europe 1 a isolé ses cinq grands conseils, qui parsèment un livre à mettre entre toutes les mains. Et tous les pieds.
Ne pas éviter son adversaire. Le penalty est un duel. Et comme dans tout duel, il ne faut pas s'avouer battu d'avance. Les études de Geir Jordet conduisent à la conclusion qu'un joueur qui se retourne après avoir posé le ballon au point de penalty a plus de chances de manquer son tir qu'un joueur qui fait face au gardien. Le professeur norvégien souligne ainsi que le pourcentage d'évitement des joueurs anglais, spécialistes de l'échec dans cet exercice des tirs au but lors des grandes compétitions internationales, atteint les 57% quand il n'est que de 5% chez les Espagnols...
Prendre son temps. En matière de penalty, Geir Jordet montre que la précipitation est l'ennemi de la réussite. Selon ses études, moins un tireur prend de temps après le coup de sifflet de l'arbitre, plus il a de chance de rater. "Prendre son temps ne veut pas dire que vous allez marquer", explique Jordet dans l'ouvrage. "Mais au moins, il ne vous arrivera pas ce qui est arrivé à tant de joueurs dont j'ai relevé le comportement dans mon étude, qui ont bâclé tous leurs faits et gestes d'avant la frappe." Jordet prend l'exemple du raté de Marco van Basten lors de la séance de tirs au but face au Danemark lors de la demi-finale de l'Euro 1992.
Van Basten voit son tir repoussé par Schmeichel (à 1'17") :
Se mettre en condition à l'entraînement. Dans ses interventions, Geir Jordet insiste sur le fait que les équipes se préparent trop peu souvent dans des conditions proches de la réalité. Un penalty à l'entraînement, même une série de penalties à l'entraînement, ne remplaceront jamais une série de tirs au but en match. "S'entraîner à faire des choses dans des conditions plus faciles que ce qui vous attend, cela n'a pas de sens", détaille le spécialiste norvégien. "Il va de soi qu'un joueur qui se retrouve à marcher de longues secondes vers le point de penalty sera intimidé le jour J s'il ne l'a pas fait à blanc au moins une fois." Geir Jordet rappelle cette anecdote de l'équipe de Tchécoslovaquie qui avait invité ses supporters à faire du bruit lors des leurs entraînements en vue de l'Euro 1976. Arrivés en finale, les Tchécoslovaques avaient battu la RFA grâce notamment au tir au but d'Antonin Panenka (2-2 a.p., 5-3 aux tab).
Panenka réussit son tir au but face à la RFA :
Lever les bras après avoir réussi. S'il est d'abord un exercice individuel, le penalty s'inscrit également dans un match d'équipes, particulièrement lors d'une séance de tirs au but. Le professeur norvégien a fait une "trouvaille très surprenante", de l'avis même de Ben Lyttleton. "Si un joueur convertit son penalty alors que le score est à égalité mais que ce joueur célèbre sa réussite avec un ou deux bras levés au-dessus de l'épaule, son équipe finit par gagner 82% du temps. Les chances décroissent singulièrement si personne ne se gargarise." De même, après un tir au but manqué, Geir Jordet souligne qu'il est important que les autres membres de l'équipe entourent le malheureux tireur. Ça peut paraître évident mais cette "stratégie de l'échec" est rarement mis en œuvre, selon l'auteur.
Ne pas être obnubilé par la défaite. Les études de Geir Jordet montrent qu'un joueur dont l'équipe reste sur deux victoires ou plus aux tirs au but a 89% de chance de réussir son tir au but. Celui dont l'équipe reste sur deux défaites ou plus voit ce taux descendre à 57%... Geir Jordet a identifié une phase durant laquelle les joueurs cogitent le plus : c'est lorsqu'ils se trouvent dans le rond central. Michael Anderson, qui dirige le département des Sciences cognitives de l'université de Cambridge, a identifié deux stratégies pour éviter de cogiter sur des échecs voire sur l'échec lui-même : la "pensée de substitution" - en clair, penser à autre chose - ou "la suppression directe", à savoir ne plus penser au penalty et ne pas penser à autre chose. Ben Lyttleton rappelle ainsi que plusieurs joueurs ayant marqué leur tir au but, comme Fabio Grosso, bourreau des Bleus en finale de la Coupe du monde 2006, ont parfois perdu tout souvenir de leur réussite...
*Onze mètres, la solitude du tireur de penalty, Ben Lyttleton (adaptation de Cédric Rouquette), Hugo Sport, 380 pages, Hugo Sport.