"La Russie n'est pas le seul pays, ni l'athlétisme le seul sport, à faire face au problème du dopage organisé." Cette phrase, glissée dans le rapport rendu public par l'Agence mondiale antidopage (AMA), lundi, dit l'étendue du problème du dopage dans le sport : il reste une pratique répandue, parfois validée par les responsables des fédérations nationales.
Selon plusieurs experts, le dopage organisé existe surtout dans des pays où le régime est fort. "De telles fraudes ne peuvent être qu'étatiques, avec plusieurs décideurs impliqués dont les services secrets", explique ainsi à l'AFP un spécialiste requérant l'anonymat, qui cite notamment la Chine. L'affaire qui secoue actuellement la Russie rappelle en effet l'époque soviétique, quand les républiques socialistes utilisaient le sport comme une façon d'exister à l'échelle internationale.
"Le Kenya a un vrai problème." Quand il s'est agi d'évoquer les autres pays en délicatesse avec l'antidopage, le président de la commission indépendante de l'AMA, Dick Pound, y est allé franchement lundi : "le Kenya a un vrai problème. S'ils ne travaillent pas sérieusement (contre le dopage), je pense que quelqu'un le fera pour eux". Depuis les Jeux olympiques de Londres, près d'une trentaine d'athlètes kényans ont été suspendus pour dopage. Quinze sont toujours interdits de compétition, dont la marathonienne Rita Jeptoo, suspendue en janvier pour deux ans après un contrôle positif à l'EPO.
Lanceur d'alerte pour l'AMA, l'agent d'athlètes russe Andrey Baranov s'irrite d'un deux poids, deux mesures, en fonction du pays. "C'est injuste de se concentrer uniquement sur la Russie. Il devrait y avoir la même enquête sur des pays comme le Kenya et l'Éthiopie. Les meilleurs athlètes de ces pays gagnent bien plus d'argent que les Russes. Mais ils ne sont contrôlés que de manière très limitée", s'irrite-t-il ainsi, dans un entretien publié mardi par le quotidien britannique The Guardian.
A la différence de la Russie, qui dispose de moyens financiers et logistiques reconnus pour lutter contre le dopage, le Kenya souffre lui d'un déficit d'infrastructures et de volonté politique. Au minimum. "Cela a pris beaucoup de temps pour reconnaître qu'il y avait un problème de dopage", a regretté Dick Pound, lundi. Double champion olympique en 1968 et 1972, le champion kényan Kip Keino a récemment laissé entendre que l'AMA avait son pays dans le viseur. Il indique ainsi que l'AMA pourrait "demander la suspension du Kenya de toute compétition pour quatre ans, dont les JO 2016". Le président de la Fédération kényane Jackson Tuwei, sollicité par l'AFP, s'est refusé à tout commentaire, arguant que "le Kenya n'était pas mentionné dans le rapport".
Natation, ski de fond, aviron, football... Dans le reportage à l'origine de ce vaste scandale, la chaîne allemande ARD avait assuré qu'un tiers des 146 médaillés mondiaux et olympiques en athlétisme entre 2001 et 2012 pouvait être soupçonné de dopage, dont 18 Kényans. Outre l'athlétisme et le cyclisme avant eux, la natation, le ski de fond et l'aviron sont évoqués dans ce reportage, tout comme le football, sport souvent "épargné" quand on parle de dopage. Et pourtant... Dans son reportage, ARD révèle ainsi une étude portant sur 4.000 échantillons d'urine prélevés sur 879 joueurs en Ligue des champions de football, selon laquelle 7,7% des tests affichaient des taux de testostérone élevés. En attendant de nouvelles révélations, certains athlètes privés de médailles par des athlètes dopés, comme l'Américaine Alysia Montano, 5e du 800 m, et l'Australien Jarel Tallent, 2e du 50 km marche, deux épreuves remportées par des Russes, demandent déjà aux autorités sportives de se pencher sur une redistribution des médailles...