C'était un temps où on ne parlait pas de KERS et d'aileron mobile. Un temps où la compétition automobile était encore une affaire de pilotage et non simplement de technologie. Un temps, surtout, où la F1 était une histoire d'hommes, et même ici de deux hommes : Ayrton Senna et Alain Prost. Du Grand Prix de Monaco 1984, où, sur une modeste Toleman, le pilote brésilien prit la deuxième place derrière le Français, jusqu'au week-end tragique du 1er mai 1994, où Senna lâcha un "Tu me manques, Alain" en caméra embarquée, Senna, film documentaire réalisé par le Britannique Asif Kapadia qui sort cette semaine en DVD et blu-ray, retrace dix ans d'une rivalité qui connut son apogée lors de la "cohabitation" chez McLaren-Honda en 1988 et 1989.
Ce sont d'ailleurs les images de cette période qui sont les plus fortes. Car plutôt que d'entrecouper le long métrage d'entretiens face caméra comme cela se fait dans le genre documentaire, Asif Kapadia a choisi de faire la part belle aux images d'archives, pour certaines inédites. Celles qui concernent les deux accrochages entre Prost et Senna, à chaque fois au Japon, et à chaque fois avec le titre en jeu, en 1989 puis 1990, sont saisissantes. Ce n'est plus de la course automobile, c'est une tragédie grecque en plusieurs actes, avec deux personnages principaux, Senna le mystique et Prost le rationnel. "Est-ce qu'on ne peut pas finir tous les deux à la première place ?", demande Prost lors d'une interview en 1988, lorsque les deux hommes se parlaient encore. Senna lui répond : "il ne peut y avoir qu'un seul vainqueur".
Le documentaire Senna sort en DVD et blu-ray :
Cette soif de vaincre à tout prix est ce qui caractérisa le mieux Senna et lui conféra cette indéniable aura. Le film égrène, suivant une logique chronologique qui se justifie pleinement, les exploits - souvent pluvieux - du Pauliste : la première victoire au Portugal, en 1985, sur Lotus, le premier titre de champion du monde décroché au Japon en 1988 après une folle remontée, ou encore son premier succès au Brésil, en 1991, lorsqu'il termina la course tétanisé en raison d'une boîte de vitesses bloquée. Senna comme motif de fierté d'un Brésil exsangue. Senna, l'altruiste aussi, qui fit beaucoup pour aider les enfants défavorisés de son pays et dont la sœur, Viviane, perpétue actuellement le travail à travers une fondation qui porte son nom.
Ce documentaire, avant tout destiné aux passionnés de F1, est sorti dans un relatif anonymat en France la semaine du Grand Prix du Monaco. Et ce n'est évidemment pas un hasard. C'est sur le Rocher que le Brésilien, qui s'y est imposé six fois (1987 et de 89 à 93), a fait le plus étalage de son talent. En 1988, le Brésilien, archi-dominateur (1"5 d'écart sur Prost en qualifications !) mais coupable d'une faute de concentration en course, expliqua avoir eu le sentiment que son corps avait quitté sa monoplace et qu'il s'était alors rapproché de Dieu. Cette foi, nullement incompatible avec une volonté d'assurer une plus grande sécurité en F1, a contribué à forger sa légende, célébrée tout au long d'un métrage qui fait revivre l'inoubliable "Magic Senna".