Comme les coureurs de la Sky avant lui - Bradley Wiggins en 2012 et Christopher Froome en 2013 -, Vincenzo Nibali a imposé sa patte sur le Tour de France 2014. Ultra-dominateur, jamais pris en défaut, il n'a laissé que des miettes à ses adversaires, à commencer par les coureurs français, qui l'encadrent sur le podium des Champs-Elysées (Jean-Christophe Péraud 2e et Thibaut Pinot 3e). Dans un monde du cyclisme toujours marqué par les affaires de dopage des dernières années, les performances impressionnantes du maillot jaune interrogent. Peut-on croire à Nibali ? Eléments de réponse.
Il ne sort pas de nulle part. En remportant le Tour de France dimanche, Nibali a rejoint Jacques Anquetil, Felice Gimondi, Eddy Merckx, Bernard Hinault et Alberto Contador dans la légende du cyclisme. Ces six hommes sont les seuls à avoir remporté les trois grands Tours au cours de leur carrière : le Tour d'Espagne, d'Italie et de France. Nibali a d'abord remporté la Vuelta en 2010 puis le Giro l'an dernier (avec même une victoire d'étape sous la neige, photo) et le Tour, enfin, cette année.
Sur la Grande Boucle, sa progression a été régulière. En 2008, il s'est classé 20e puis 7e en 2009. Après avoir zappé les éditions 2010 et 2011, il était monté sur le podium en 2012 (troisième). Passé professionnel en 2005, il avait déjà montré de belles prédispositions chez les juniors, avec notamment un podium lors des Mondiaux 2002 sur le contre-la-montre. Brillant sur les courses de trois semaines, Nibali aime également les classiques ardennaises. En 2012, il était passé tout près de la victoire sur la Doyenne, Liège-Bastogne-Liège, qui pourrait être son prochain grand objectif.
Il a construit sa victoire. D'aucuns aiment à rappeler que Nibali a dominé un Tour de France que les deux grands favoris, le Britannique Christopher Froome (Sky) et l'Espagnol Alberto Contador (Tinkoff-Saxo), ont rapidement abandonné. C'est oublier un peu vite que le leader de l'équipe Astana a commencé à faire la différence quand le duo d'anciens vainqueurs était encore là : à l'arrivée à Sheffield, c'est lui qui avait réglé tout le monde pour remporter l'étape en solitaire.
Puis, trois jours plus tard, Contador était encore en course quand il lui a repris 2'35" dans l'étape d'Arenberg Porte du Hainaut. Or, sur les pavés du Nord, c'est d'abord la préparation et le talent qui s'expriment. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, sur ce Tour de France piégeux, ce sont deux coureurs qui ont fait leurs armes dans le VTT - Nibali et Péraud - qui terminent aux deux premières places. Dans le portrait qui lui est consacré dans le magazine Pédale, Nibali explique d'ailleurs que le VTT lui a permis d'affiner son style, qu'il définit par ces deux maîtres mots : "équilibre et agilité". Ça nous change des deux derniers vainqueurs, Wiggins et Froome, beaucoup moins beaux sur leur vélo...
Il a toujours tenu un discours clair. C'est comme ça depuis l'affaire Festina : le vainqueur du Tour de France est forcément l'objet de tous les soupçons. Premier élément à connaître : Nibali n'a jamais été contrôlé positif et son nom n'a jamais été cité dans une quelconque affaire de dopage. Tout juste a-t-on voulu lui prêter une liaison dangereuse avec le Dr Michele Ferrari, mentor fantôme de Lance Armstrong, mais les accusations sont tombées à l'eau. Dans une Italie malade de son dopage et toujours marquée par le décès de Marco Pantani, Nibali offre une bouffée d'air frais. Loin de la morgue d'un Armstrong ou de la mollesse d'un Contador, le coureur italien a toujours été ferme dans son discours. "Comme on dit chez moi, la maman des imbéciles sera toujours enceinte", insiste le Sicilien dans L'Equipe, dimanche. "Il y aura toujours des tricheurs mais le cyclisme a changé et fait des progrès, avec le MPCC (Mouvement pour un cyclisme crédible qui rassemble différentes équipes du peloton, ndlr), le passeport biologique, tout va mieux, ça se sent dans les cols, quand on mesure les temps d'escalade." Nibali a ainsi mis 2'45" de plus que Bjarne Riis (1996) pour gravir la montée d'Hautacam.
MAIS...
Une facilité déconcertante.Même s'il a mis beaucoup plus de temps que le trop fameux coureur danois pour grimper le col pyrénéen, Nibali a néanmoins impressionné tout au long de ce Tour de France : quatre victoires d'étape - une à chaque tournant du Tour : en Angleterre, dans les Vosges, dans les Alpes, dans les Pyrénées - et une victoire finale acquise avec 7'52" d'avance. Une telle mainmise nous ramène à l'époque Armstrong, qui avait l'habitude de dominer tout le monde, partout, et avec beaucoup de marge. Mais même Armstrong lui-même (qui a été destitué de ses sept victoires sur le Tour pour dopage, ndlr) ne s'était imposé avec une marge aussi importante. Il faut ainsi remonter à 1997 et à la victoire de Jan Ullrich devant Richard Virenque pour trouver un écart plus élevé entre le vainqueur et son dauphin : 9'09". C'était le Tour 1997, le Tour précédant le Tour 1998, celui de l'affaire Festina qui avait révélé le recours massif au dopage dans le peloton.
Des performances "surhumaines" ? Chez Nibali, il y a la facilité déconcertante à accélérer dans les montées, le manque apparent de souffrance sur le visage, l'écart avec les autres coureurs... Dans une chronique pour le quotidien Le Monde, l'ancien entraîneur de l'équipe Festina, Antoine Vayer, a mis des chiffres sur ces impressions en relevant les watts développés par les leaders dans les principales ascensions. S'il reconnaît une "normalisation" des watts développés - flirtant avec la limite des 410 watts -, ce spécialiste de la performance pointe du doigt les chiffres de Nibali. Sur les cinq principales ascensions du Tour, le leader d'Astana a ainsi développé 417 watts en moyenne contre seulement 407 watts à son dauphin, Jean-Christophe Péraud (mais loin des chiffres d'un Armstrong par exemple, ndlr). S'appuyant sur ces données statistiques, qui n'ont en aucun cas valeur de preuves de dopage, Vayer n'hésite pas néanmoins à qualifier Nibali de "surhumain".
Une équipe au passé sulfureux. Nibali a remporté le Tour de France au sein de l'équipe Astana. Et c'est peu dire que l'équipe cycliste, qui porte le nom de la capitale du Kazakhstan, a un passé chargé. Au propre comme au figuré. Par où commencer ? Par l'avant-Astana, en fait, puisque le team, soutenu par l'ancienne république soviétique, est né des cendres de l'équipe espagnole Liberty Seguros, disparue après l'affaire de dopage sanguin Puerto. Dès sa première saison dans le peloton, Astana est rattrapée par le dopage : Alexandre Vinokourov, son leader, est contrôlé positif aux transfusions homologues. En 2008, elle passe sous la coupe de Johan Bruyneel, le manager qui a permis à Armstrong de gagner sept Tours de France. En 2010, Alberto Contador est déchu de sa victoire sur le Tour pour un contrôle positif au clenbutérol.
En 2012, Astana remet son avenir entre les mains de... Vinokourov, qu'elle avait licencié en 2007. Une deuxième chance en quelque sorte. Mais, pour beaucoup, la présence de "Vino" au poste de manager et celle de Giuseppe Martinelli, qui avait amené Pantani à la victoire en 1998, donnent un goût amer au triomphe de Nibali. "Quand il courait, il a été pris et sanctionné, il a payé sa dette", souligne Nibali à propos de "Vino" dans L'Equipe. "Il est revenu et c'est pour changer l'image de son équipe qu'il m'a recruté." Nibali change-t-il l'image d'Astana ou est-ce Astana qui change l'image de Nibali ? Ça se discute.
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