Les milliers de spectateurs qui se sont amassés vendredi dans le port des Sables d'Olonne n'avaient aucune chance d'apercevoir une navigatrice du Vendée Globe 2016-17, dimanche. Et pour cause, pour la première fois depuis 1992, la célèbre course autour du monde, en solitaire, sans escale et sans assistance, va s'élancer sans la moindre femme. Pourtant, le nombre de navigateurs atteint le nombre quasi record de 29 (ils étaient 30 en 2008). Comment expliquer cet état de fait ? À quelques heures du grand départ prévu dimanche midi, Europe 1 balaie les différentes hypothèses.
Les 29 skippers au départ. Ne cherchez pas la femme :
#Gueulesdemarins Les 29 skippers du Vendée Globe 2016-2017 au grand complet par #AFPphoto@LoicVenance & @JSEvrard#VG2016pic.twitter.com/1tBnehNDSZ
— JS Evrard (@JSEvrard) November 4, 2016
De plus grandes difficultés pour trouver un sponsor ? Non, mais… Une femme s'était bien préinscrite à cette édition 2016-17 du Vendée, l'Espagnole Anna Corbella. Mais celle-ci n'a pas réussi à rassembler les 700.000 euros nécessaires. Les femmes auraient-elles plus de mal que les hommes à lever des fonds ? "Ce que disent les skippers hommes, c'est qu'un projet mené par une femme est un petit peu plus facile à vendre que celui d'un homme car les hommes sont plus nombreux", relève Corinne Boulloud, envoyée spéciale d'Europe 1 aux Sables. "Imaginez, s'il y avait eu une femme au départ aujourd'hui, elle aurait eu tous les médias." Et autant de publicité pour le sponsor qui l'aurait parrainée.
Le problème du sponsoring est donc asexué. Mais réel. La Britannique Dee Caffari, 6ème du Vendée Globe 2008-2009, insiste sur le fait que trouver un sponsor reste "difficile pour tous les marins, homme et femme". "On dit que pour une femme, c'est plus facile de trouver des partenaires, mais je ne suis pas si sûr que ça", considère le skipper Arnaud Boissières (La Mie câline). "C'est aussi compliqué que pour un homme. Et c'est peut-être plus difficile pour une femme de garder un sponsor. Et plus ingrat aussi, car les partenaires jouent sur la féminité."
Une course devenue plus physique ? Pas vraiment. Selon un observateur du milieu, interrogé par l'AFP, "l'évolution même de la course est en cause". "Si vous mettez des bateaux qui nécessitent beaucoup de technologie, d'argent, une équipe volumineuse, vous perdez les femmes", estime ce témoin, qui a souhaité garder l'anonymat. Cette 6ème édition du Vendée Globe est notamment marquée par l'arrivée des foils, ces appendices placés sur le côté de la coque et censés augmenter la vitesse. Leur maîtrise sur la longueur pourrait être exigeante physiquement.
Cela reste une explication biaisée pour le directeur de la course, Jacques Caraës - "la voile nécessitant d'abord de la stratégie et pas seulement de la force" - tout comme pour Corinne Boulloud. "Les bateaux avec des foils ne représentent qu'un quart des concurrents au départ (7 sur 29)", relève notre spécialiste. "Le Vendée Globe est aujourd'hui une course à double ou triple vitesse. Il y a beaucoup de concurrents qui partent pour un voyage initiatique et il y a plein de femmes qui sont parties dans ce cadre-là par le passé." Faux (ou foil ?) problème, donc.
Un creux générationnel ? Pas forcément. L'hypothèse du creux générationnel est défendue par Didier Ravon, journalistes à Voiles et Voiliers, interrogé par l'AFP. "Nous sommes entre deux générations et il n'y a pas eu beaucoup de renouvellement après la génération Autissier, Chabaud, MacArthur", estime-t-il. Pourtant, des navigatrices, il y en a. "La Solitaire du Figaro, tremplin pour le Vendée Globe, comptait cette année cinq femmes sur la ligne de départ", insiste Samantha Davies. "Elle fait partie des navigatrices qui auraient pu être au départ", souligne Corinne Boulloud, "tout comme Isabelle Joschke, Jeanne Grégoire ou encore Servane Escoffier, même si ce n'est pas trop son truc les courses autour du monde". Les candidates en puissance sont là, donc, même si elles sont peu nombreuses. Sept femmes seulement ont participé au Vendée Globe depuis sa création en 1988.
Un problème de société ? Peut-être. Pour Isabelle Joschke, la principale explication de cette absence de femme est sociétale. "Il devrait y avoir tout un vivier de jeunes femmes prêtes à partir, d'autant que les femmes font de bons résultats", relève-t-elle. "Or, depuis dix ans que je fais de la course, rien n'a changé. La participation des femmes est toujours aussi faible (…) Souvent, les filles courent puis disparaissent du circuit quand elles sont en âge d'avoir une famille, c'est un problème de société." Corinne Boulloud considère également que le côté familial joue un rôle indéniable dans un prohet qui reste chronophage. "C'est un tour du monde, il y a des mamans et ce n'est pas anodin de partir deux mois et demi, trois mois, sur un bateau toute seule. C'est un énorme projet à mener, qui prend du temps. Il y a beaucoup de paramètres hors compétition à prendre en compte et dans un cadre familial, c'est déjà difficile à mener pour un homme, donc imaginez pour une femme".
Un mauvais concours de circonstances ? Sûrement. Dernière navigatrice à s'être élancée sur le Vendée il y a quatre ans, Samantha Davies, qui avait fini 4ème de la course en 2009, met en avant un "mauvais concours de circonstances" pour expliquer l'absence de femme cette année. "Nous sommes plusieurs navigatrices à avoir couru le dernier Volvo Ocean Race en 2015. Quand j'ai signé pour le Volvo, je savais très bien que je n'aurais pas assez de temps pour préparer le Vendée Globe". Avec son Team SCA (groupe suédois de produits d'hygiène, notamment féminine), elle a remporté une étape de l'épreuve avec un équipage 100% féminin. "On essaie d'agir pour augmenter le nombre de femmes qui naviguent à haut niveau, en tant que professionnelles", confie-t-elle au micro d'Europe 1. "On essaie de créer des fenêtres d'opportunité, pour ouvrir des portes pour la suite."
La Volvo Race semble être un bel outil de promotion de la voile au féminin puisque ses organisateurs ont annoncé que les équipages 100% masculins seraient désormais limités à sept équipiers quand ceux qui miseront sur la mixité pourront aller au-delà. "Ils ne veulent rien rendre obligatoire, ce qui est malin", note Corinne Boulloud. "Le problème est que sur une course en solitaire, on ne peut pas le faire…" Pourtant, quelque chose nous dit que lors de la prochaine édition, en 2020, une femme sera bien au départ du Vendée Globe. Et peut-être même plusieurs…