Les démons du racisme continuent de hanter le football italien. Les supporters de la Lazio, connus dans le monde entier pour leurs accointances avec les milieux d’extrême droite, ont une nouvelle fois choqué par des débordements xénophobes. Dimanche dernier, des fans des Biancocelesti ont collé dans le Stade olympique de Rome des images d’Anne Frank portant le maillot de leurs grands rivaux, l’AS Rome. Ces photos détournées ont provoqué une immense émotion au pays du Calcio, déclenchant une vague de condamnations jusque dans les plus hautes sphères de l’État.
Pourtant, plusieurs stades italiens ont à nouveau été le théâtre de dérapages mercredi soir. Quelques dizaines de supporters de la Lazio, en déplacement à Bologne, ont entonné un chant fasciste et effectué des saluts romains bras tendus, alors que des fans de la Juventus ont tourné le dos à la minute d’applaudissements organisée pour condamner ces actes. Le signe que ce mal qui ronge le foot italien est loin d’être éradiqué.
- De nombreux clubs touchés, et pas seulement la Lazio
Banderoles racistes, chants xénophobes, joueurs aux opinions ouvertement fascistes, comme plusieurs membres de l’équipe championne d’Italie en 1974 ou Paolo Di Canio, références antisémites : la Lazio Rome est depuis longtemps pointée du doigt. Le club romain à l’image sulfureuse est cependant loin d’être le seul touché par le racisme. "Il y a des ultras (les supporters les plus fervents) racistes partout, à la Juventus Turin ou même à l’AS Rome", décrit Olivier Cougard, correspondant d’Europe1 en Italie. La Juve (encore) a été par exemple sanctionnée l’an dernier pour un chant antisémite entonné par ses fans à l’encontre de ceux de la Fiorentina, sans oublier, quelques années en arrière, les innombrables insultes à caractère racistes adressées à Mario Balotelli, la seule star de couleur du foot italien, dans beaucoup de stades de Serie A.
- Des incidents constamment minimisés
"Ces incidents sont tout le temps minimisés. On entend souvent dire en Italie que ce ne sont que des chamailleries entre supporters, et pas du racisme", analyse Olivier Cougard. Après l’épisode Anne Frank, le président de la Lazio a dit lui-même ne s’attendre à "aucune sanction", estimant que son club "a mis en œuvre des mesures pour lutter contre le racisme" et l’antisémitisme. Une prise de position optimiste mais pas si étonnante, qui renvoie à l’immobilisme du foot italien sur ces sujets.
En avril dernier, l’affaire Sulley Muntari avait provoqué une immense polémique. Le milieu de terrain ghanéen, qui avait quitté la pelouse de Cagliari après avoir été la cible de cris racistes, avait reçu un… deuxième carton jaune de la part de l’arbitre, provoquant son expulsion. Et comme si cela ne suffisait pas, l’instance disciplinaire de la Ligue italienne a cru judicieux de confirmer la sanction dans un premier temps, et de ne prendre aucune mesure contre le club de Cagliari. Face au tollé, la commission d’appel de la fédération italienne avait finalement levé la suspension du joueur, mais le mal était fait. "J’ai été traité comme un criminel. Comment pouvais-je être puni alors que j’étais victime de racisme ?", s’était indigné Muntari.
L'expulsion de Muntari après avoir été la cible de cris racistes :
- Le laxisme coupable des clubs et des autorités sportives
Les joueurs ont beau tirer la sonnette d’alarme, les clubs et les autorités sportives semblent n’avoir pas pris la mesure du problème. Les institutions du foot italien sont au contraire engluées dans des compromissions de longue date avec les ultras. "Les ultras ont encore la main mise dans la gestion de nombreux clubs. Beaucoup de clubs italiens laissent encore un rôle actif, notamment dans la gestion de la billetterie", détaille Olivier Cougard. Andrea Agnelli, le tout puissant président de la Juve, a ainsi été condamné à un an de suspension pour la vente de billets à des groupes de fans infiltrés par la n’drangheta, la mafia calabraise.
De fait, les clubs n’osent pas s’attaquer à leurs propres ultras, comme l’a fait le PSG avec le plan Leproux. Mais ils ne sont pas beaucoup aidés en cela par les autorités sportives. "Il y a clairement un manque de volonté, un laxisme des instances du foot italien", estime notre correspondant en Italie. Les sanctions infligées après des dérapages racistes sont guère dissuasives, se cantonnant à des amendes de plusieurs dizaines de milliers d’euros ou à des fermetures partielles de stade. Et l’exemple ne risque pas de venir d’en haut. Carlo Tavecchio, l’actuel président de la Fédération italienne de football (FIGC), a été l’auteur de plusieurs dérapages racistes ces dernières années, sans jamais craindre pour son poste…
- L’inaction des politiques
Face à ce mal profond, la classe politique italienne tarde elle aussi à réagir. "A chaque fois, ces affaires font polémique puis s’étouffent. Il y a des condamnations publiques (le président de la République, Sergio Mattarella, a appelé à bannir des stades les responsables de l’épisode Anne Frank, ndlr), notamment sur Twitter, mais pas d’actions de la part des politiques", assure Olivier Cougard. D’autres pays ont pourtant réussi là où l’Italie a pour le moment échoué. L’Angleterre, confrontée aux drames causés par le hooliganisme dans les années 1980, a réussi à résoudre en grande partie le problème en appliquant la politique de tolérance zéro sous la pression du gouvernement Thatcher.
Mais en Italie, le racisme ne se limite pas au seul ballon rond. La Ligue du nord, parti ouvertement xénophobe et anti migrants, recueille près de 15% dans les derniers sondages pour les élections générales italiennes de 2018. "On ne prend pas la direction d’une amélioration de la perception du racisme dans la société italienne", s’inquiète Olivier Cougard. Et dans les stades italiens aussi…