L'affaire Froome qui a éclaté mercredi a mis en lumière un fait déroutant pour beaucoup de gens : de nombreux sportifs de haut niveau, et particulièrement des cyclistes, disent souffrir d'asthme. Et c'est pour soigner une "accentuation" de son asthme que le quadruple vainqueur du Tour de France explique avoir "augmenté (ses) doses de salbutamol", laissant supposer que c'est là la cause de son contrôle "anormal" effectué lors de la dernière semaine du dernier Tour d'Espagne, qu'il a remporté. Le salbutamol, substance couramment utilisée pour soigner l'asthme, n'est pas interdit en compétition, mais son recours est réglementé. Le seuil au-delà duquel est prévue une possible sanction pour dopage est établi à 1.000 nanogrammes par millilitre. Dans le cas de Froome, la concentration atteint le double de ce qui est autorisé, ce qui ne manque pas évidemment de susciter moult questions sur la probité du coureur britannique, qui ambitionne de réaliser la saison prochaine le doublé Giro-Tour.
- Christopher Froome est-il asthmatique ?
C'est la première question qui vient à l'esprit. "Il est de notoriété publique que j'ai de l'asthme et je connais exactement les règles. J'utilise un inhalateur pour ménager les symptômes (toujours dans les limites permises) et je sais que je suis évidemment testé chaque jour que je porte le maillot de leader", a expliqué le coureur d'origine kényane. Sauf que cette information n'a pas toujours été "de notoriété publique". Il a fallu attendre le Critérium du Dauphiné 2014 pour que son équipe, Sky, révèle ses difficultés respiratoires, un peu contrainte et forcée car le coureur avait été aperçu avec un inhalateur à la bouche dans le final d'une étape. Mais avant cet épisode, jamais Froome n'avait fait part de son asthme. "J'imagine que le staff qui l'entoure a pris toutes les précautions pour attester de la réalité de cet asthme. Dans mon cas, tous les dossiers que je gère sont validés par des pneumologues", insiste Jean-Jacques Menuet, médecin du sport qui travaille avec l'équipe cycliste Fortunéo-Vital Concept. "Je n'ai pas de doutes et je ne pense pas que l'équipe Sky joue avec des dossiers bidons."
- Être asthmatique et sportif de haut niveau, est-ce compatible ?
Oui, répond sans détour le docteur Menuet. "Ça ne pose aucun problème, je vous rappelle que Mark Spitz (sept fois médaillé d'or en natation lors de Jeux de Munich, en 1972) était asthmatique et que le sport est au contraire une bonne pratique pour un asthmatique. On peut être champion en étant asthmatique, à condition d'être soigné. Et un asthmatique qui se soigne correctement est tout aussi compétitif qu'un autre sportif." Voire plus dans le cas de Froome, dominateur sur les grands Tours.
"Le sport de haut niveau, et certaines disciplines d'endurance, à haute exigence ventilatoire, vont provoquer des inflammations et vous pouvez au fil du temps développer un asthme d'effort dû à ces hyper-ventilations", explique le docteur Jean-Pierre de Mondenard, spécialiste du dopage. "Depuis les années 2000, et la prolifération des AUT (autorisations à usage thérapeutique, soit le recours autorisé, pour un sportif, à un médicament ou à une pratique médicale sur prescription médicale, ndlr), on sait que les sportifs dans les sports d'endurance sont plus asthmatiques que la moyenne." Une étude réalisée en 2017, portant exclusivement sur les nageurs de haut niveau français, évalue à plus de 50% ceux touchés par la bronchoconstriction induite par l'exercice (BIE), une gêne respiratoire née d'une hyperventilation dans un air irritant. C'est ce que l'on appelle l'"asthme d'effort", apanage des sportifs.
- Quels sont les facteurs qui expliquent la sur-représentation des asthmatiques chez les sportifs ?
"L'asthme d'effort n'est pas l'asthme que l'on a au repos, c'est une forme très spécifique et toutes les études montrent que 50 à 60% des sportifs de haut niveau qui pratiquent une activité d'endurance prolongée sont concernés", insiste le docteur Jean-Jacques Menuet. "On met toujours le cyclisme en avant, mais le marathon, le ski, le hockey sur glace aussi sont concernés. Cet asthme est dû au fait qu'on ventile 30 à 40 fois plus qu'au repos donc on capte 30 à 40 fois plus de pollen, d'agents polluants, de fumée, de poussière, et du coup, la bronche s'enflamme, se spasme, elle hyper-sécrète pendant l'effort et du coup, la ventilation est atténuée, et le coureur peut faire des crises. Mais, et j'insiste bien là-dessus, ça concerne tous les sportifs d'endurance, et pas seulement le cyclisme.
Tous les médecins du sport sont unanimes : l'asthme est une réalité médicale et il doit être pris en charge comme toute autre pathologie médicale ou infection". Le médecin s'irrite : "Il faut arrêter de dire que l'utilisation de ventoline équivaut à du dopage."
- Comment les cyclistes qui souffrent d'asthme se soignent-ils ?
Ils ont recours à la ventoline, dont le composant est le salbutamol. Inhalé, le salbutamol est autorisé par les autorités sportives jusqu'à 1.600 microgrammes/24 heures, sans excéder 800 microgrammes par douze heures. Pour donner une idée, une inhalation de ventoline correspond à 100 microgrammes. Un sportif peut donc en inhaler jusqu'à seize fois en une journée. La traduction de ces limites dans les urines est de 1.000 ng/ml. Le salbutamol est interdit par les autres voies, en comprimés ou intraveineuses par exemple. Jusqu'en 2011, il n'était autorisé qu'avec une AUT. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Mais les médecins s'accordent à dire que dans les limites autorisées, le salbutamol n'a pas d'effet sur la performance. "Le traitement de l'asthme, ce n'est pas pour rendre les gens plus forts mais pour leur permettre de les ramener à la normale au niveau de la ventilation", souligne le docteur Menuet.
- Que reproche-t-on à Froome ?
Selon le communiqué de l'équipe Sky, "les analyses (effectuées sur les échantillons A et B des urines de Froome du 7 septembre dernier, ndlr) indiquent une présence de salbutamol à une concentration de 2.000 nanogrammes par millilitre (ng/ml)", soit deux fois plus que la limite autorisée. "Je suis d'accord pour dire que ses taux sont au-delà d'une dose dite thérapeutique", reconnaît le docteur Menuet. "On peut légitimement se poser la question de savoir si Froome n'a pas dépassé les doses qui sont licites et autorisées par les instances. Tous les sportifs qui possèdent de l'asthme sont parfaitement briefés sur la quantité qu'ils sont en droit de prendre." Comme le précise le médecin de l'équipe Fortunéo, "le salbutamol est une molécule qui dilate les bronches effectivement mais, au-dessus d'une certaine dose, il a des effets anabolisants, que les culturistes utilisent en comprimés ou en injections pour obtenir de la masse musculaire." C'est ce que l'équipe Sky va désormais devoir prouver : que Froome a bien pris ses doses de salbutamol par inhalateur et non pas une autre voie, interdite.
- Le taux mesuré sur Froome est-il une preuve de dopage ?
Non. Enfin, pas encore. L'UCI, qui entendra le coureur et son équipe, a d'ailleurs évoqué un contrôle "anormal" et non un contrôle positif. "Avant d'affirmer qu'il a triché, il faut savoir que ce seuil de 1.000 doit être interprété", souligne le docteur de Mondenard. "Le contrôle a eu lieu lors de la dernière semaine du Tour d'Espagne, où les températures étaient très élevées, où la déshydratation très importante et les transpirations maximales. Dans ces cas-là, vous perdez l'eau par la peau et la concentration du produit va donc être de fait plus importante dans les urines. Ses avocats vont se servir de cette densité urinaire pour prouver qu'il n'a pas triché."
Le docteur de Mondenard explique avoir déjà été sollicité par des avocats de sportifs victimes d'un contrôle "anormal" au salbutamol pour prouver leur bonne foi. "J'avais les PV d'analyse et à chaque fois, la densité était au maximum et c'était donc normal que leur taux dépasse les 1.000 ng/ml. Et ces sportifs ont été blanchis. Ce n'est jamais sorti dans la presse alors que là, l'UCI met sur son site que Froome a subi un contrôle que je qualifierais de non négatif, que la procédure n'est pas terminée et qu'il y a des éléments qui peuvent expliquer ce chiffre." Dans son communiqué, Sky abonde évidemment dans ce sens. "De nombreuses données montrent qu'il y a des variations importantes et imprévisibles dans la manière dont le salbutamol est métabolisé et excrété", écrit Sky. L'équipe britannique, déjà ébranlée par les AUT concernant des corticoïdes accordées à Bradley Wiggins, vainqueur surprise du Tour 2012, énumère plusieurs paramètres, comme "l'interaction entre le salbutamol et l'alimentation ou d'autres médicaments, la déshydratation et le temps écoulé entre la prise du produit et le contrôle".
Mais Jean-Pierre de Mondenard s'étonne malgré tout de la première réaction de Froome. "Mon asthme s'est accentué durant la Vuelta, donc j'ai suivi les conseils du médecin de l'équipe pour augmenter mes doses de salbutamol", a d'abord réagi le Britannique. " Là, il nous dit : 'J'avais besoin d'un peu plus de salbutamol et je me fiche de la règle'. C'est une défense qui me paraît fumeuse. Aujourd'hui, il ne nous dit plus ça", relève le docteur de Mondenard. Il y a fort à parier que les avocats de la Sky sont actuellement sur les dents et qu'ils préparent une batterie d'explications pour éviter à "Froomey" la disgrâce et une suspension dans les mois qui viennent.