Comment exister face au Tour de France ? Cette question, le Tour d'Italie se la pose depuis plus d'un siècle maintenant. Créé en 1909 par le quotidien sportif italien La Gazzetta dello Sport, sur le modèle qu'avait suivi L'Équipe avec le Tour de France six ans plus tôt, le Giro doit faire avec le "monstre" d'Amaury Sport Organisation, feuilleton estival qui cartonne à l'international. Plutôt que de sombrer dans l'imitation, le Tour d'Italie a plutôt joué ces dernières années la carte de la différenciation. Avec un certain succès.
Originalité et suspense. Sur le plan médiatique et financier, le Giro ne peut pas lutter avec le Tour. Au niveau du plateau non plus. La carotte n'est pas la même. Quand le vainqueur du Tour empochait une prime de 500.000 euros en 2016, celui du Giro touchait 116.000 euros, ce qui est encore moins que ce qui est prévu pour le vainqueur du Tour d'Espagne (150.000), organisé par Unipublic, désormais propriété à 49% d'ASO, organisateur du Tour. Cette année encore, plusieurs grands noms du cyclisme mondial ont ainsi décidé de faire l'impasse sur le Giro : Alejandro Valverde, Christopher Froome, Alberto Contador, Romain Bardet ou Richie Porte ne seront pas au départ de Sardaigne.
Le Giro fête sa 100ème édition :
Quand on n'a pas les moyens d'attirer les tout meilleurs acteurs - attention, avec Nibali, Quintana ou Pinot, ce ne sont quand même pas des seconds rôles qui se disputeront la victoire cette année ! -, on soigne le théâtre. Le Giro s'est ainsi fait une spécialité de dessiner des parcours atypiques. Cela concerne notamment les arrivées au sommet. Des pentes diaboliques, des routes enneigées, un bitume à peine goudronné : pas de problème, du moment que les coureurs peuvent passer. Ce parti pris du spectacle à tout prix est assumé et plaît aux grincheux qui trouvent qu'on s'ennuie ferme sur les routes en juillet. Et si le Giro a, comme le Tour, sacrifié à la mode des départs à l'étranger, la Grande Boucle lui a repris certaines idées comme celle de programmer une étape de montagne à la veille de l'arrivée.
Pour sa 100ème édition, le Giro n'a évidemment pas mis la pédale douce sur les difficultés, avec pas moins de quatre étapes montagneuses la dernière semaine, et notamment le double franchissement du mythique Stelvio (2.758 m d'altitude) lors de la 16ème étape.
La 16ème étape propose un parcours titanesque :
Mais les choses sérieuses débuteront dès le quatrième jour de course. Car, après trois étapes en Sardaigne, les coureurs prendront la direction de la Sicile, avec une montée sur les pentes de l'Etna… Enfin, pour la forme, et plutôt qu'une procession comme en a l'habitude le Tour lors de la dernière étape vers les Champs-Élysées, les organisateurs ont placé un contre-la-montre inidividuel de 29 kilomètres entre l'autodrome de Monza et Milan. De quoi bouleverser une dernière fois le classement général…
La prime au romantisme. Ces choix entrent dans une logique : celle de créer "la course la plus dure dans le plus beau pays du monde", comme le dit l'organisation. En plus de son tracé, le Giro, comme le Tour d'ailleurs, a bien compris qu'il lui fallait jouer aussi de son cadre, enjôleur. L'affiche officielle de la 100ème édition de l'épreuve, avec ce coureur les bras écartés dans une pose christique, se voit d'ailleurs accompagnée du slogan : "amore infinito", pour "amour sans fin". Le Giro, la course la plus romantique du monde ? Sans aucun doute, et son environnement, météorologique, géographique mais aussi culinaire, y est sans doute pour quelque chose.
Toujours à la limite… Mais, parfois, le Giro est victime de ses élans. Cette année, les organisateurs avaient voulu instaurer un classement des meilleurs descendeurs. Face à la fronde du peloton, ils ont dû faire machine arrière. Et le Giro romantique vire souvent au romanesque. Le regretté Laurent Fignon avait ainsi perdu l'édition 1984 face à l'Italien Francesco Moser, qui avait bénéficié de circonstances de course qu'on qualifiera de "favorables". Plus loin de nous, le premier porteur français du maillot rose de leader, Raphaël Géminiani, avait laissé échapper le Giro 1955 la mort dans l'âme. "J'aurais pu le gagner", avoue-t-il au micro d'Europe 1. "J'étais deuxième derrière (Gastone) Nencini. Mais, dans la nuit, ils avaient empierré une route sur deux kilomètres. Le matin, je m'étais rendu compte que Coppi avaient des pneus plus gros que d'habitude. Il m'a répondu qu'il faisait un essai pour Pirelli… Il y avait eu 94 crevaisons en deux kilomètres. À 200 m de la bonne route, j'ai crevé moi aussi…" Le Giro, c'est ça : toujours à la limite, et parfois même au-delà…
À noter que, cette année, le Giro est à suivre en clair à la télévision sur la chaîne L'Équipe.