Le président de la Fédération française de rugby est fragilisé par des soupçons de favoritisme à l’endroit du club de Montpellier et de son président, avec qui il entretient des relations privilégiées.
Bernard Laporte s’approche dangereusement du précipice. Depuis les révélations du JDD du 13 août, selon lesquelles l’actuel président de la Fédération française de rugby (FFR) aurait fait pression sur la commission d’appel pour qu’elle réduise des sanctions à l’égard de Montpellier, l’étau n’en finit plus de se resserrer autour de l’ex-sélectionneur des Bleus. Le ministère des Sports a annoncé une enquête sur cette affaire, qui pourrait déboucher à terme sur une démission de Bernard Laporte.
De pressions supposées en démissions en chaîne, jusqu’à l’intervention de Laura Flessel, retour sur les principaux actes de l’affaire Laporte.
Les informations à connaître :
- Bernard Laporte est soupçonné d'avoir fait pression pour alléger une sanction contre Montpellier
- Le président de la FFR et celui de Montpellier, Mohed Altrad, ont été en affaire
- Une enquête diligentée par le ministère des Sports est en cours
- Acte 1 : l’étrange mansuétude de la FFR vis-à-vis de Montpellier
Tout commence le 29 juin. Ce jour-là, la Commission d’appel fédérale, qui dépend donc de la FFR, doit se prononcer sur des sanctions prononcées par la LNR à l’encontre du club de Montpellier. Pour des banderoles hostiles à la Ligue brandies dans les tribunes de son stade, le Montpellier Hérault rugby (MHR) avait écopé de 70.000 euros d’amende et de la suspension de son enceinte pour un match. Finalement, le 30 juin, les décisions tombent : l’amende passe de 70.000 à 20.000 euros, et le stade n’est plus suspendu. Ce qui permet à Montpellier de disputer (et de gagner) son premier match du Top 14, le 26 août dernier, face à Agen (48-19). Par ailleurs, deux joueurs du MHR, Jacques et Jannie du Plessis, voient leur suspension réduite, de 6 à 3 semaines pour le premier, de 6 à 4 semaines pour le second.
Il n’est certes pas rare qu’une juridiction d’appel revoie à la baisse des sanctions prises en première instance. Mais plusieurs faits interpellent. D’abord, la réunion a duré anormalement longtemps, puisque la commission s’est réunie le 29 et a rendu ses décisions le 30. En outre, deux des trois commissaires chargés de se prononcer avaient quitté le lieu de la réunion dès le 29, selon L’Equipe. Cela porte à croire qu’une première décision, confirmant les sanctions, avait été prise. Avant, selon certaines sources, l’intervention de Bernard Laporte.
La démission d'un des trois membres de la commission présents lors de la séance du 29 juin accrédite cette thèse. Le JDD a publié la lettre que Philippe Peyramaure, démissionnaire, a adressée à Jean-Daniel Simonet, président de la commission également présent ce jour-là. "J'ai été avisé que le président de la Fédération était intervenu pour demander que nous modifiions notre décision dans un sens beaucoup plus favorable à Montpellier", écrit cet avocat parisien désigné par la LNR pour siéger au sein de l'organe fédéral.
- Acte 2 : révélations sur les liens entre Mohed Altrad, président de Montpellier, et Bernard Laporte
Cette indulgence de la Commission fédérale de la FFR à l’encontre de Montpellier rentre en outre en résonance avec les révélations du JDD sur les liens entre Bernard Laporte et Mohed Altrad, président du MHR. Ainsi, BL Communication, société dirigée par Laporte, a signé à l'hiver 2016-2017 avec Altrad, dirigeant d'un gros groupe de matériel pour le BTP, un contrat d'un an pour quatre prestations, pour un montant de 150.000 euros, hors frais de transports, restauration et logement.
Selon un article de ce contrat, publié par le journal, "BL Communication s'interdit toute déclaration ou tout comportement public susceptible de nuire à la réputation (d')Altrad". Lequel est devenu, à la même période, le premier sponsor à s'afficher sur le maillot des Bleus.
- Acte 3 : soupçons et démissions en chaîne
La commission d’appel a été largement déplumée par cette affaire. Six de ses treize membres ont en effet démissionné. Le premier d’entre eux a été Philippe Peyramaure, non sans accuser Bernard Laporte d’intervention. Benjamin Peyrelevade, Julien Bérenger, Vincent Chaumet-Riffaud, Olivier de Chazeaux et Patrice Michel ont suivi. "J'ai estimé qu'au regard des derniers développements, la sérénité qui doit entourer le fonctionnement d'une telle commission n'était plus là. Les conditions n'étaient plus réunies", a expliqué ce dernier à l’AFP.
Jean-Daniel Simonet, président de l’instance, lui, tient bon. Ils soutient même Bernard Laporte. "La décision prise le 30 juin 2017 par la Commission d'appel de la FFR a été rendue librement dans sa formation collégiale en vertu des règlements généraux qui s'imposent à elle; et la sanction infligée au club professionnel de Montpellier est conforme à la jurisprudence (...)", a-t-il écrit dans un communiqué.
- Acte 4 : dénégations et riposte
Face au scandale, la première décision de Bernard Laporte a été de mettre fin au contrat qui liait sa société à Altrad. "Les insinuations qui existent depuis quelques jours sont malsaines. Je mets fin à ma future collaboration avec le groupe Altrad. J’y perds de l’argent mais ce n’est pas grave. Je ne me suis pas engagé à la FFR pour m’enrichir", a expliqué le président de la FFR sur Rugbyrama.fr.
"Sur le fameux coup de pression qu’ils auraient reçu de ma part, je m’inscris en faux", poursuit l’ex-secrétaire d’État aux Sports. "Je n’ai fait qu’appeler le président (Jean-Daniel Simonet) au mois de juin pour lui indiquer que la situation était à l’apaisement avec la Ligue nationale de rugby. En ce sens, je lui ai dit : 'Prenez vos décisions en hommes indépendants.' J’ai rappelé que le climat était véritablement à la détente entre les deux institutions, qu’il pouvait sanctionner Montpellier ou le Racing 92 mais qu’il ne fallait pas s’acharner", admet-il.
Bernard Laporte ne fait pas que se défendre. "Je me rends bien compte que les réformes que je souhaite pour le milieu amateur ne sont pas comprises par tous au sein du milieu professionnel", estime-t-il. "Qui m’attaque ? Des gens qui avaient du pouvoir et qui l’ont perdu. Ils devaient penser que je ne me défendrais pas ! Ce sont les mêmes qui pensaient que je n’irais pas au bout de ma candidature à la FFR ! Ils se sont trompés, et se trompent encore…" Et de conclure : "Je sais d’où viennent ces attaques, mais je reste combatif !".
- Acte 5 : le ministère s’en mêle
L’affaire a fatalement fini par remonter jusqu’au ministère des Sports, autorité de tutelle de la FFR. Laura Flessel a assuré s’être penchée sur le dossier. "On est en pleine réflexion. On attend d'autres retours d'informations et après il faudra trancher", a affirmé la ministre sur France Bleu. Moins de 24 heures plus tard, une enquête était donc ouverte. "Bernard Laporte a transmis lundi au cabinet des documents pour attester de sa bonne foi. Depuis lundi, ces documents sont à l'étude. Quelques interrogations ont été levées, d'autres méritent des éclaircissements", a commenté le ministère auprès de l'AFP.
Si le ministère agit aussi vite, c’est aussi parce que la France est candidate à l’organisation de la Coupe du monde 2023, dont le pays hôte sera désigné le 15 novembre. Une telle affaire n’est évidemment pas un atout. "La candidature se fera avec ou sans Bernard Laporte", a prévenu Laura Flessel mardi.
- Acte 6 : l'élément à charge de L'Équipe
Le 20 septembre, le quotidien L'Équipe révèle à sa Une que Bernard Laporte s'est entretenu à la mi-juin avec Mohed Altrad, à Montpellier. Lors de cette entrevue, le président du MHR aurait demandé à Laporte de "voir ce qu'il pouvait faire pour atténuer les sanctions".
Pour L'Équipe, c'est (presque) clair : "On peut imaginer qu'Altrad et son entourage se sentent d'autant mieux fondés à demander un 'service' à Laporte que le mécène montpelliérain donne beaucoup de son argent à la fédération (sponsoring, maillot, formation…). Inversement, l'oreille de Laporte est sans doute d'autant plus attentive qu'il est en affaire personnelles avec Altrad." L'étau semble se resserrer.
- Et maintenant ?
Tout dépend évidemment des conclusions de l’enquête diligentée par le ministère des Sports. Si une faute grave était avérée, l'article 40 du code pénal s'appliquerait, avec la saisie d'un procureur par les inspecteurs du ministère, aucune autre arme n'étant à disposition du gouvernement envers un président de fédération. Il deviendrait toutefois difficile pour Bernard Laporte de rester en poste.
La Ligue nationale de rugby pourrait s’estimer lésée, dans la mesure où son jugement en première instance aurait été révisé de manière inadéquate. S’il est de notoriété publique que Paul Goze, président de la LNR, et Bernard Laporte ne s’apprécient guère, les deux hommes observent une trêve depuis plusieurs semaines. Malgré l’affaire, les hostilités n’ont pas repris. Pour l’instant.