Champion du monde en 1998 avec l'équipe de France et considéré comme l'un des meilleurs gardien de buts de son époque, Fabien Barthez a accordé un entretien exclusif à Europe 1 Sport. L'ariègeois de 50 ans, pilote automobile depuis 2008, se livre sur l'actualité du football et plus particulièrement celle des gardiens, mais également sur ses nouveaux projets.
Nouvelle passion et nouveau rôle : "On découvre, avec l’âge, différentes passions"
"Ma passion première restera toujours le football, et le rôle de gardien avant tout. Mon autre passion, le sport automobile, j'arrive au bout après 14 ans. Donc on découvre, avec l'âge, différentes passions, différentes envies. Mon nouveau truc, c'est le VTT par exemple. Sortir, faire des balades en montagne. C'est des trucs comme ça. Et après, suivre toujours le foot et surtout le rôle du gardien qui me dérange un peu. Cette histoire de Covid m'a permis de me lancer dans un nouveau rôle de conseiller de gardien. Et pour ça, moi aussi, je suis allé demander des conseils à des entraîneurs, des jeunes du milieu... Et ça m'a permis aussi d'appeler une personne qui pour moi a toujours été un mentor, a toujours été mon modèle : Joël Bats [ancien gardien de l'équipe de France entre 1983 et 1989 et entraîneur des gardiens de l'Olympique Lyonnais entre 2000 et 2017, nldr]
Joël, de toute ma carrière, je pense qu'on a dû se parler chaque fois qu'on s'est croisé. Et on se parlait trois ou quatre minutes.Il y a toujours eu ce truc, cette fluidité, comme si on se connaissait depuis toujours, comme si on se comprenait depuis toujours. Et depuis deux ans, on se parle parce que je demandais des conseils sur mon nouveau rôle. Qu'est ce qu'il en pensait, comment il le voyait. Et on est tous les deux vraiment dans la même approche. Même quand j'étais en équipe de France avec Laurent Blanc, je l'appelais jamais pour Hugo (Lloris) parce que je n'en sentais pas la nécessité et lui pareil.
Avec Joël, c'est fusionnel : on a beaucoup échangé. Récemment, il a sorti un livre assez éducatif qui est hyper intéressant, surtout pour le rôle des parents, parce que c'est ce qui fait le plus de mal aux jeunes joueurs et aux jeunes talents."
Évolution du poste de gardien de but : "Tous les gardiens se ressemblent"
"Avec Joël, on a beaucoup parlé de l'évolution du poste. Et l'évolution ne veut pas dire que c'est mieux. Moi je ne suis pas d'accord et lui non plus. Ça a été beaucoup la taille ces dernières années ou le jeu au pied. Sachant quand même que c'est une règle qui existe depuis 1993. Et là, maintenant, on est en train de s'extasier devant un gardien qui est bon avec les pieds. Joël aurait pu jouer maintenant. Je n'étais pas un précurseur. C'est la règle qui a fait que je suis devenu précurseur parce que les entraîneurs détestaient ça. Il ne fallait surtout pas faire de passes aux gardiens.
Pourquoi le poste à changé ? Parce qu'à partir des années 2010, on a commencé à jouer comme l'Espagne. On repart de derrière. Maintenant, on en est à un point où on a instauré une nouvelle règle des six mètres, on peut repartir à l'intérieur des six mètres. On appuie beaucoup trop sur le jeu au pied et on oublie vraiment le rôle essentiel. Déjà, c'est une question d'individualités. Maintenant, tous les gardiens se ressemblent.
Tous les gardiens sont formatés. Ils agissent de la même façon sur les mêmes actions. Il n'y a pas de gardien idéal. Un gardien sur un terrain n'est pas comme un joueur de champ et quelle que soit sa façon de jouer. Après, que ce soit le football, que ce soit le basket, que ce soit le rugby, que ce soit le tennis, le jeu, c'est l'œil. C'est l'anticipation et c'est la lecture du jeu. Et tout ça vous amène le placement et derrière. Et pour mettre tout ça en valeur, il faut la vitesse de jambes. Comme son nom l'indique, il est là pour garder un but. Avant tout. Il faut essayer d'être le plus pragmatique possible. Il n'est pas là pour être numéro 10. Il n'est pas là pour faire des transversales de 40 mètres.
Une équipe, c'est chacun son rôle bien défini et chacun a sa place. Le gardien de but est là pour récupérer toutes les erreurs. Il ne faut pas l'oublier. Parce que quand le ballon arrive devant le but, c'est une multitude d'erreurs. Sauf que lui, derrière, il y a une ligne blanche. C'est un poste qui n'a jamais été reconnu à sa juste valeur."
Travailler avec Laurent Blanc dans le futur : "La porte est ouverte"
"Avec Laurent, on devait travailler ensemble à Paris quand il était au PSG (de 2013 à 2016). Mais ça ne s'est pas fait parce que les dirigeants qui étaient en place ne le souhaitait pas. Mais la porte est ouverte. Pour les gardiens de but, tout est ouvert. Mais après, je vous cache pas que je n'ai pas besoin non plus de travailler pour échanger sur tel ou tel gardien ou pour décider qui va jouer, qui ne va pas jouer."
L’alternance au PSG entre Keylor Navas et Gianluigi Donnarumma : "Une chose que je ne ferai jamais"
"Je ne l'aurais jamais supporté. Parce que moi, je n'ai jamais supporté d'être numéro 2 et je n'ai jamais supporté de finir deuxième. Donc ça, c'est ce qu'on appelle avoir un état d'esprit compétiteur. Je ne sais pas ce qu'ils en pensent, mais c'est le message que t'envoie : Je te fais confiance et toi je te pas confiance. Et les automatismes ce n'est pas en faisant des 6 contre 6 ou une fois par semaine ou des 11 contre 11. Et les repères, comment tu fais pour les repères ? Les longs ballons, les longues trajectoires... Chacun fait comme il en a envie. Moi, c'est une chose que je ne ferai jamais parce que j'aime les gardiens. On est là pour le mettre avant tout en confiance.
Donc, plus tu as de temps de jeu, plus tu prends de la confiance. C'est là où tu progresses. Comment fais tu pour tirer 150% du joueur ? Est ce que comme ça, en alternant, les deux ne sont pas à 80% chacun ? Il y a une différence entre 80 et 100%. Après, qui est le plus fort des deux... Il y en a un qui arrête sa carrière dans un ou deux ans et l'autre qui est qui tout frais, qui a une énorme marge de progression encore. Mais est-ce que tu peux tirer 100% de chaque joueur ?"
Ses repères en équipe de France : "En équipe nationale, tu n’es pas là pour apprendre"
"L'équipe de France, c'est encore autre chose. Parce que quand tu vas en équipe nationale, t'es pas là pour apprendre. On n'a pas le temps, on n'est pas là pour apprendre. Ça fait partie aussi des qualités du joueur de très très haut niveau. Et comme dans n'importe quel travail, celui qui s'adapte le plus rapidement possible, c'est celui qui fait la différence. Donc nous, on est là pour s'adapter le plus rapidement possible. Mais effectivement, avec Laurent, avec Marcel (Desailly) ou Tutu (Thuram) on avait ses automatismes, même si on se gueulait dessus tout le match. Avec Thuram, on se gueulait dessus parce qu'il ne voulait pas me faire la passe. Je lui demandais des passes quand le jeu était bloqué pour que je tourne. Il ne voulait pas me donner le ballon."
Le club qu'il a préféré : "Ce qui se passe en dehors du terrain fait la différence"
"Moi je me suis éclaté partout. Parce que pour moi, une carrière de joueur, ça commence à 15 ans, 20 ans. Après tu as 20, 25 ans, 30, 35... Il y a différentes évolutions dans ta vie d'homme. Parce que c'est avant tout ta vie d'homme. Voilà, c'est tout ça qui va faire la différence. Pourquoi il y a eu de grands talents qui n'ont jamais percés ? Parce que ce qui se passe en dehors du terrain fait la différence. Et c'est là le plus dur. Parce que tu évolue en tant qu'homme."
Conscient d'avoir été le meilleur gardien du monde : "Tu le sais, mais tu ne le crois jamais"
"Jamais. Tu sais que tu es le meilleur. Tu le sais, mais tu ne le crois jamais. Ce genre d'humilité qui fait que tu te mets toujours un peu en dessous, te permet derrière d'être beaucoup plus concentré. Mais quand il m'est arrivé de croire que j'étais le meilleur, je suis passé à travers complètement. Le premier match après la Coupe du monde qu'on a fait c'était L'Islande (le 5 septembre 1998, 1-1). C'est un grand classique, c'est humain ! Et c'est là que tu crois que tu es le meilleur. Moi, je fais une sortie, je suis en retard de 15 mètres. Là, je me suis pris pour le meilleur au monde. On venait de m'élir meilleur gardien du monde et j'étais champion du monde. Regarde ce que ça a fait !"
Mike Maignan, futur numéro un en équipe de France ? "Il faut te mettre au niveau des plus grands"
"Ce sera le futur gardien de l'équipe de France. Mais il y a un autre aspect qu'il faut prendre en compte, c'est dans la tête. Ce qui se passe quand tu passes encore un cap. C'est là où se font les différences, ce n'est pas tellement sur une transversale de 40 mètres ou un plongeon, ou ceci ou cela. Quelque part tout le monde sait le faire à ce niveau là. Quand tu passes ce cap, comment tu gères tout l'environnement ? Toutes les pressions différentes? Est-ce que tu vas changer ton jeu ? Et il ne faut pas oublier que tu joues avec les plus grands joueurs. En club, tu n'es jamais avec les plus grands joueurs de chaque nation. Là, il faut te mettre au niveau de tous les plus grands."
La situation de Steve Mandanda : "Il faut qu’il bosse pour lui"
"Ça fait partie de la carrière d'un joueur. Moi, je me suis fait virer de Manchester United au bout de trois ans. Ça fait partie de la carrière d'un joueur. Il se passe beaucoup de choses dans le football actuel, qui fait que parfois un joueur ne va pas spécialement pour ses qualités. Il va jouer parce qu'il y a autre chose derrière. Je ne sais pas ce qui se passe dans la tête de Steve. J'espère qu'il bosse pour lui. Parce qu'avant tout, il faut qu'il bosse pour lui. Quand il va jouer, il va falloir être prêt. C'est ce que j'ai vécu six mois à Manchester. Alex Ferguson m'a dit : ‘tu ne joueras plus pour Manchester’. J'ai rejoué six mois après. Je m'entraînais tout seul, tous les jours. Je me donnait le dimanche. Alex Ferguson m'avait mis un entraîneur de gardiens à disposition et je travaillais tous les jours. Il faut être très égoïste, travailler vraiment que pour soi."