Le résultat a été entériné par la Commission des compétitions de la Ligue de football professionnel, mardi. Malgré les impressionnants débordements survenus en marge du match de pré-barrage de dimanche en Corse, c'est bien l'AC Ajaccio, vainqueur dans le chaos face au Havre, qui affrontera Toulouse pour une place en Ligue 1. Mais la décision ne met pas fin à la polémique, entre bus caillassé, insultes et envahissement de terrain. "On est les victimes", a déploré Vincent Volpe, le président du club normand, annonçant son intention de faire appel. Concrètement, la procédure a peu de chances d'aboutir, à 24 heures du prochain match du calendrier des barrages, qui se tiendra sur terrain neutre. Elle pourrait en revanche laisser des traces dans les relations entre les clubs corses et les instances footballistiques françaises, dont l'histoire est déjà émaillée d'incidents et d'incompréhensions.
Les indépendantistes et la "haine anti-corses".Record de cartons rouges distribués en une rencontre de Ligue 1 en 2013, supporter blessé dans des échauffourées avec la police en 2016, spectateurs sur la pelouse pour s'en prendre aux joueurs de l'équipe adverse en 2017… Les exemples du type ne manquent pas. Ils concernent principalement le SC Bastia, relégué administrativement en National 3 la saison dernière. Mais en matière de football, la Corse et le continent deviennent rapidement deux "blocs" qui s'opposent. Mardi, le SCB a ainsi apporté "tout son soutien" à l'AC Ajaccio, dénonçant le "lynchage médiatique dont est victime le club" depuis sa victoire de dimanche. Le président indépendantiste de l'Assemblée de l'île, Jean-Guy Talamoni, a lui dénoncé la "haine anti-corse", qu'il dit être prêt à tenter de faire reconnaître devant la Cour européenne des Droits de l'Homme.
" La machine se met en route à chaque incident, toujours de la même manière "
"Le discours de victimisation est classique", analyse pour Europe 1 Didier Rey, professeur d'histoire à l'université de Corte et auteur de plusieurs ouvrages sur le football en Corse. "On a d'un côté les continentaux, qui ont l'impression de faire face à un public agressif, avec des manifestations partisanes violentes, et de l'autre les insulaires, qui se sentent mis à l'index par les instances et les autres équipes. La machine se met en route à chaque incident, toujours de la même manière. Tout cela a été intériorisé pendant cinquante ans, des deux côtés."
En 1959, l'île est "tout simplement oubliée". Selon l'expert, l'antagonisme trouve ses racines en 1959, lors d'une réforme du championnat amateur. Le projet prévoit six groupes, avec des clubs issus de toutes les régions de France et de l'Algérie française… mais pas de Corse. "Ce n'est pas un complot : l'île est tout simplement oubliée. Pas vraiment le continent, pas vraiment une colonie, pas vraiment un empire…" Au terme d'âpres négociations, un club corse est finalement accepté en CFA. "Mais jusqu'en 1993, c'est la limite : le champion de DH insulaire n'a pas le droit de monter." Ce seuil est désormais révolu.
" On se souvient de manifestations avec de la pyrotechnie dans les tribunes corses, voire d'armes à feu autour des stades "
Dans les années 1970, ces règlements défavorables à la Corse sont doublés d'un "choc culturel". "On se souvient de manifestations avec de la pyrotechnie dans les tribunes corses, voire d'armes à feu autour du stade. Il y avait un choc culturel, une vraie crainte chez les visiteurs", souligne Didier Rey. "Mais cette époque est largement révolue si on regarde l'ensemble de la saison, surtout à l'ACA : l'immense majorité des matches se déroule dans le plus grand des calmes, avec de petites affluences. Il y a des groupes de supporters, certes, mais peu nombreux. Et à côté, il y a des gens que l'on ne voit qu'à certains moments, dont la violence est la raison d'être. Il est difficile d'en parler avec précision, car il existe peu de travaux sur la question."
"10 ou 15%" de joueurs corses seulement. "Mais chacun a construit son discours et personne ne veut en sortir", poursuit Didier Rey. Moins vifs sur les terrains, les affrontements se jouent désormais sur le terrain de la communication, entre sanctions de la Ligue et accusations de "racisme". "Cela a d'autant moins de sens que la part des joueurs d'origine corse dans les équipes, qui était entre 80 et 100% il y a cinquante ans, doit être de 10 ou 15% aujourd'hui, peut être un peu plus au Gazélec" Ajaccio, deuxième club de la ville, évoluant également en Ligue 2. "Les footballeurs viennent d'autres clubs et iront vers d'autres clubs. C'est l'illustration-même de la vacuité du discours de victimisation."
Le temps passant, la "machine" systématiquement à l'oeuvre peut-elle s'enrayer ? "Ce dernier incident pose en tout cas la question du rôle des pouvoirs publics", estime Didier Rey. "Au vu du passif, on aurait pu imaginer que ce match soit considéré comme 'à risque', et que le bus soit escorté jusqu'au stade, par exemple. Il y a clairement un problème de gestion."