"Fonctionnaires en colère, CTS en détresse", pouvait-on lire sur certaines affiches brandies jeudi, devant le ministère des Sports, à Paris. Dans le cadre de la manifestation nationale des fonctionnaires, plusieurs dizaines de conseillers techniques sportifs (CTS) avaient décidé d'exprimer leur colère. En cause, le projet du gouvernement, incarné par leur ministre de tutelle, Roxana Maracineanu, de modifier la nature de leurs contrats.
L'ancien ministre des Sports Patrick Kanner était présent…
En ce jour de mobilisation en défense de la fonction publique, j’apporte plus particulièrement mon soutien à la mobilisation des CTS qui sont indispensables au développement du sport français #sport#TouchePasAmonCTS#soutienauxctspic.twitter.com/jHHeieDKSF
— Patrick Kanner (@PatrickKanner) May 9, 2019
… tout comme le député de Génération.s Régis Juanico :
En cette journée nationale de mobilisation de la #FonctionPublique, manifestation en soutien des Conseillers Techniques et Sportifs et des fonctionnaires de @Sports_gouv sous les fenêtres de @RoxanaMaracineanu à Paris. #SoutienAuxCTS#ServicePublic#BrassardsRougespic.twitter.com/KqSN40Ge6W
— Régis JUANICO (@Juanico) May 9, 2019
Actuellement, ces conseillers techniques sportifs, au nombre d'environ 1.600, sont des fonctionnaires payés par l'État - pour un coût de 120 millions d'euros en 2016 - et placés auprès des fédérations, où ils exercent un rôle essentiel pour le haut niveau et le développement des pratiques sportives. Il s'agit des directeurs techniques nationaux (DTN), des entraîneurs nationaux (comme ceux de Teddy Riner ou de Martin Fourcade, par exemple) et des conseillers techniques nationaux et régionaux, et forment ceux que l'on surnomme parfois "les chevilles ouvrières du sport français".
Le projet du gouvernement est de confier désormais leur gestion aux fédérations sportives, via des contrats de détachement, ce qui est vu par beaucoup d'acteurs comme l'expression d'un désengagement de l'État et un risque d'affaiblissement du sport français.
De grandes stars du sport français solidaires
La manifestation de jeudi est l'expression d'une colère qui a monté ces derniers jours et qui s'est exprimée notamment sur les réseaux sociaux, où plusieurs stars du sport français ont fait part de leur crainte. "Soutien à tous les CTS sans qui le sport français et surtout le handball français n'aurait pas atteint des sommets", a ainsi tweeté samedi Nikola Karabatic, double champion olympique (2008, 2012) et quadruple champion du monde (2009, 2011, 2015, 2017) avec les Bleus.
"Souhaitez-vous vraiment nous voir briller à Paris 2024 ?" a demandé le sprinteur Jimmy Vicaut sur le réseau social. "Laissez-nous les moyens de nous préparer sereinement pour les grandes compétitions", a ajouté le détenteur du record du monde de saut à la perche Renaud Lavillenie.
Aujourd’hui journée sans coach pour moi... #soutien aux CTS
— Renaud LAVILLENIE® (@airlavillenie) May 3, 2019
Laissez nous les moyens de nous préparer sereinement pour les grandes compétitions #tokyo2020#paris2024
Le décathlonien Kevin Mayer, lui aussi recordman du monde, a choisi l'ironie, en imaginant une "discussion au gouvernement : 'Comment être le pays hôte aux JO de Paris 2024 à ramener moins de médailles que d'habitude' ?'".
Un corps créé après l'échec des Jeux de Rome en 1960
Ce projet de réforme intervient évidemment dans un contexte particulier, à cinq ans seulement des Jeux olympiques de Paris 2024, alors que certains des sportifs tricolores amenés à y briller sont en pleine maturation. C'est d'ailleurs à l'issue de JO… ratés que ce corps d'agents des CTS a été créé, sous l'impulsion du général de Gaulle, après l'échec des Jeux de Rome en 1960 (5 médailles, 25ème au classement des pays).
Mais, selon le gouvernement, ce dispositif est aujourd'hui daté. Et la Cour des comptes a récemment pointé du doigt leur répartition inégale : seulement dix fédérations concentrent 43,6% des effectifs, et la moitié des CTS régionaux exercent en Île-de-France.
Au ministère, on insiste sur le fait que le détachement prévu des CTS s'inscrit dans une logique de réforme plus global du modèle sportif français, avec la création de l'agence nationale du sport, censée donner plus de pouvoir aux fédérations.
Interpellée directement par certains acteurs, la ministre des Sports défend son projet, y compris sur les réseaux sociaux, où elle a répondu le week-end dernier aux critiques dans un message sur Twitter. "Les CTS garderont tout : statut de fonctionnaire, salaire, avancement, retraite. Seul changement : le lien hiérarchique avec la Fédé", a-t-elle insisté.
L’Etat investit pour le sport, donne plus de moyens et de responsabilités aux fédérations. Pour réussir, elles doivent gérer pleinement leurs cadres. Les CTS garderont tout: statut de fonctionnaire, salaire, avancement, retraite. Seul changement le lien hiérarchique avec la Fédé
— Roxana Maracineanu (@RoxaMaracineanu) May 4, 2019
Le projet prévoit des compensations en subventions pour les fédérations, afin qu'elles puissent rémunérer les CTS qui dépendront désormais d'elles. Mais beaucoup d'acteurs du sport, et les fédérations en premier lieu, craignent que ces subventions ne soient pas garanties dans le temps. Ce que le ministère dément, assurant que les "financements continueront après 2025".
Les CTS dénoncent une réforme adoptée à marche forcée. Le concours qui mène à la carrière de CTS a déjà été fermé, le non-remplacement des CTS partant à la retraite a été entériné, ce qui devrait conduire à une diminution de 25% de leur nombre d'ici cinq ans et de 50% en dix ans. Et, en fin de semaine dernière, en commission des lois de l'Assemblée nationale, le gouvernement a ajouté un amendement au projet de loi de "transformation de la fonction publique" concernant un éventuel détachement "d'office" de certains fonctionnaires. Ce que les CTS ont pris pour eux, alors que le projet évoquait un détachement "sur la base du volontariat" jusqu'en 2025.
Un amendement qui ne passe pas
"Un amendement scélérat du gouvernement, porté en catimini sans en informer les députés, a été porté à l'Assemblée dans la loi de modernisation publique, pour rendre le détachement d'office des CTS légal", a dénoncé dans un communiqué publié vendredi, l'association des directeurs techniques nationaux (AsDTN). "Malgré le courrier des présidents de fédérations refusant le détachement des CTS (notamment dans la perspective des JO de Paris 2024, ndlr), malgré le rapport des inspecteurs généraux mettant en garde contre leur décalage, malgré l’action des 400 sportifs de haut niveau vers le président, malgré le courrier des 1.300 CTS, la ministre poursuit l’œuvre de destruction de son ministère", déplore l’AsDTN dans ce communiqué.
Vers des départs à l'étranger ?
Devant le flou entourant leur avenir à moyen terme, certains CTS avouent d'ailleurs ne pas écarter un départ à l'étranger… C'est le cas notamment d'Eva Serrano, ancienne championne de GRS et aujourd'hui formatrice à la fédération française de gymnastique. "Je suis vraiment très inquiète parce que nos grands entraîneurs nationaux, qui préparent nos futurs champions olympiques, vont peut-être aller à l'étranger parce qu'ils seront mieux payés", explique-t-elle au micro d'Europe 1. "À titre personnel, je suis reconnue sur le plan international et effectivement, j'irai voir ce qui se passe sur la scène étrangère…"
Les fédérations olympiques, elles, menacent de boycotter la prochaine réunion avec le comité d'organisation de Paris 2024, qui doit avoir lieu le 24 mai prochain, explique Le Monde, un Cojo présidé par Tony Estanguet, ancien champion de kayak, dont les acteurs sont très mobilisés dans la contestation, les plus petites fédérations étant aussi les plus inquiètes de cette réforme concernant les CTS. À cinq ans des Jeux de Paris, ces tensions au sein du sport français sont pour le moins embarrassantes…