Un poste de consultant à Canal+, un livre confession à paraître le 7 novembre*… L'ancien arbitre international Tony Chapron, 46 ans, vit assez bien sa retraite, qu'il a prise de manière anticipée en janvier dernier après un dernier match à Nantes (Nantes-PSG, 0-1), marqué par un croche-pied devenu célèbre sur un joueur des Canaris. Mais ce geste malheureux ne saurait faire oublier les 22 ans de carrière - dont treize en Ligue 1 - de cette figure du sifflet français, élu meilleur arbitre la saison passée par ses pairs, qui s'exprime en longueur dans un entretien à L'Équipe publié mardi. Et dans lequel il ne mâche pas ses mots.
Les joueurs "casse-pieds" et les conséquences du "star-system"
Cela n'avait échappé à personne, mais Tony Chapron le confirme : le milieu de terrain italien du PSG Marco Verrati figure bien parmi les joueurs les plus difficiles à arbitrer en Ligue 1. Il le définit comme un "casse-pieds", mais "par ailleurs gentil". Dans le même style hâbleur, l'ancien arbitre classe les deux anciens milieux de terrain du Losc, Florent Balmont (désormais à Dijon) et Rio Mavuba (Mérignac, National 3). "Le duo en stéréo, c'était l'assurance de passer une soirée cacophonique", écrit-il dans son ouvrage, tout en précisant qu'il leur tendait régulièrement le sifflet pour détendre l'atmosphère. Mais celle-ci a parfois été plus tendue avec d'autres joueurs.
C'est le cas notamment avec Jérémy Ménez (aujourd'hui au Club América, Mexique). Un soir de match avec le PSG, le joueur formé à Sochaux l'avait copieusement insulté. "Si tu l'expulses, on ne va parler que de toi", avaient alors dit ses assistants à Tony Chapron. "C'est l'une des perversités du star-system : il est impossible de sortir certains joueurs vedettes, sinon la foudre s'abat sur vous ! Ménez n'est pas viré à la mi-temps, il passe à travers les gouttes grâce à sa notoriété et à celle de son club" durant la rencontre avant, tout de même, de se faire sanctionner par la commission de discipline de la Ligue.
Autre épisode célèbre avec un ancien joueur du PSG : Tony Chapron avait un jour refusé de donner le ballon du match à Zlatan Ibrahimovic qui venait d'inscrire un triplé. "J'ai vraiment eu l'impression qu'il parlait à un larbin. Il se comporte comme ça avec tout le monde", rappelle l'arbitre, qui explique avoir voulu in fine rendre le cuir à "Ibra". "Mais je n'ai pas pu, il n'y a qu'un club au monde où l'on ne peut pas entrer dans le vestiaire, c'est Paris."
Les effets pervers de la "notoriété" de certains clubs
Dans son autobiographie, Tony Chapron ne s'en cache pas : "Un arbitre qui souhaite s'éviter quelques désagréments aura tout intérêt à se montrer plus conciliant envers l'équipe locale et plus intransigeant avec les visiteurs." S'il explique avoir toujours refusé cette "facilité", il reconnaît donc que l'arbitrage "à la maison" est une réalité, tout comme le poids des grands clubs, et en particulier de l'Olympique lyonnais, dont le président, Jean-Michel Aulas, critique régulièrement les performances du corps arbitral.
"Quand Jean-Michel Aulas leur fait une remarque qui peut paraître anodine, ils savent que ça ne vient pas de n'importe où", rappelle-t-il. "Quand il parle, la caisse de résonance n'est pas la même que quand c'est le président de Dijon. Quand vous oubliez de siffler un penalty pour Lyon et que Jean-Michel Aulas le dit, toute la France va le savoir. Pour Dijon, c'est au mieux toute la Bourgogne."
La Corse, "un sentiment d'insécurité permanent"
Au cours de sa carrière, Tony Chapron a été au cœur d'une autre polémique. En mars 2013, il avait déposé plainte pour "menaces de mort, violence verbale et physique" après un match opposant le Gazélec Ajaccio et l'AS Monaco. Cet épisode l'a visiblement marqué car il a des mots très durs envers le "Gaz" mais aussi envers l'ensemble du football corse. "Je trouve assez curieux que dans de nombreux cas, ils (les Corses) s'en sortent si bien sur les sanctions", souligne-t-il dans les colonnes de L'Équipe. "Et que le Gazélec Ajaccio ait pu jouer en L 1 compte tenu de l'exiguïté de son stade et des conditions de sécurité qui n'étaient pas réunies. J'ai halluciné quand j'ai appris que Luzenac (en 2014) ne pourrait pas jouer en Ligue 2 parce que son stade n'était pas homologué. Peut-être que le cahier des charges n'est pas le même en Corse..."
Un peu plus loin dans l'interview, l'ancien arbitre en remet une couche. " J'avais un sentiment d'insécurité permanent en Corse", insiste-t-il, très remonté. "Je n'y officiais plus depuis longtemps, mais je doute que les choses se soient beaucoup arrangées depuis. Les derniers événements d'Ajaccio contre Le Havre (en pré-barrages de Ligue 1, en mai 2018) laissent à penser que tout n'est pas réglé. Il y a souvent, en Corse, une stratégie de communication hallucinante : ils passent toujours pour des victimes."
Les propositions indécentes, "une fois"
Tony Chapron évoque également une autre usine à fantasmes autour de l'arbitrage : celle de la corruption et des petits cadeaux… "Une fois, en Slovaquie, on nous a proposé une visite de courtoisie de demoiselles à notre hôtel", raconte-t-il. "C'est la seule fois où j'ai senti que c'était 'border'. Si l'entourage de certains clubs le propose, c'est que des arbitres disent oui... (…) Dans le Championnat de France, ça me paraît improbable. En même temps, j'aurais pu dire ça du Championnat belge..." Au début du mois, une gigantesque enquête anticorruption en Belgique a impliqué deux arbitres, qui ont tous les deux été suspendus depuis avec effet immédiat par leur fédération.
Le fayotage des certains arbitres et "le manque de leader charismatique"
Enfin, Tony Chapron revient sur le déficit de représentation de l'arbitrage français dans les grandes compétitions internationales. Selon lui, cela résulte de la culture du fayotage nourrie par la direction technique de l'arbitrage (DTA). "En France, on est tellement timorés, tellement cachés derrière la moindre brindille, qu'inévitablement on peut vous tomber dessus car on se dit 'il est fragile'", estime-t-il. "Chez nous, il n'y a pas d'arbitres suffisamment forts, costauds, pour assumer des grandes décisions et diriger des grands matches internationaux (…) Au niveau international, les arbitres français manquent carrément d'envergure. Ce n'est pas étonnant, car toute l'année ils sont obligés d'ânonner", tonne-t-il, avant de juger que "la France manque d'un leader charismatique".
Clément Turpin, son n°1 désigné ? Tony Chapron en fait l'incarnation du fayotage et du système de notation des arbitres français, qui ne s'appuie pas seulement sur les performances sur le terrain, mais aussi sur le comportement plus général auprès des instances.
"Des appels incessants pour m'insulter"
Tony Chapron revient en longueur sur l'incident, le fameux tacle sur le Nantais Diego Carlos, qui, en janvier dernier, a marqué la fin anticipée de sa carrière, lui qui devait prendre sa retraite en mai. "J'ai un réflexe stupide où je balance mon pied, par douleur", explique-t-il, alors qu'il revenait de blessure. Mais le plus dur pour l'ancien arbitre international fut évidemment les jours suivants l'incident. "J'ai des enfants qui vont à l'école et pour eux, ça n'a pas été simple", regrette-t-il.
"J'ai eu des appels incessants pour m'insulter, quelques visites de journalistes avec des enquêtes de voisinage pour demander à mes voisins si j'étais quelqu'un de respectable, si j'avais un comportement violent dans la vie quotidienne, si j'étais bizarre. Ils ont aussi enquêté à l'université où je travaillais avant. Ils ont appelé ma femme sur son lieu de travail. Tout ça a été pénible. Sortir de chez moi a été compliqué."
*Tony Chapron, Enfin libre!, Itinéraire d'un arbitre intraitable, Arthaud, 320 pages, 19 euros