L'heure du déjeuner est largement passée mais le public tarde toujours à remplir le bas des gradins du court Central de Roland-Garros, mardi. Les rappels à l'ordre de l'arbitre et la colère des autres spectateurs n'y font rien : à plusieurs reprises, Alexander Zverev et Fernando Verdasco doivent patienter de longues secondes, le temps que les retardataires daignent enfin s'installer à leurs places.
Cette scène, devenue banale porte d'Auteuil, se déroule en plein cœur d'un des matches phares du premier tour, qui s'est conclu par l'élimination du jeune prodige allemand, mardi après-midi. De quoi justifier un peu plus la mauvaise réputation du public du tournoi parisien, régulièrement égratigné pour son indiscipline ou son manque de ferveur ? Peut-être.
Oui, les Français sont soutenus. Pourtant, un peu plus tôt, en fin de matinée, l'ambiance montait doucement en température sur les courts annexes. Arnaud, spectateur assidu de Roland-Garros depuis une dizaine d'années, assiste alors avec un de ses amis à l'entraînement de Zverev et Verdasco. Tous deux balayent d'emblée ce supposé manque de ferveur à Roland-Garros. "Je pense, au contraire, que les gens supportent à fond les joueurs français", assure Arnaud, avant de désigner, preuve à l'appui, le court n°14.
À quelques mètres de là, une atmosphère bruyante se fait entendre de ce court annexe. La rencontre n'a pourtant rien d'un choc : le Français Laurent Tokoli, modeste 285ème joueur mondial et bénéficiaire d'une wild-card, est opposé au Slovaque Martin Klizan, 50ème à l'ATP. Le jeune Corse de 22 ans est poussé par des gradins tout acquis à sa cause. Dans cette ambiance survoltée, il est même tout proche de réaliser l'exploit, mais perd finalement la partie (et ses nerfs) après cinq sets disputés.
Laurent Tokoli n'a pas été le seul, mardi, à s'être senti "à domicile". Alizé Cornet, avec qui le public français n'a pas toujours été tendre, voit même dans le public un élément essentiel de sa victoire au premier tour contre la Hongroise Timea Babos : "Il y a du stress et de la pression, mais le public est présent dans les bons comme dans les mauvais moments. Ça m'a aidé et ça fait une grosse différence."
" Ce n'est pas un public méchant, même s'il peut être cruel "
Un public "exigeant". Pour les joueurs, français comme étrangers, évoluer à Roland-Garros peut pourtant vite tourner au cauchemar. Henri Leconte, sifflé après sa finale perdue en 1988, et Jo-Wilfried Tsonga, qui avait joué le début de sa demi-finale contre David Ferrer en 2013 devant des gradins désertés, peuvent en témoigner. Stan Wawrinka, hué après sa demi-finale victorieuse contre ce même Tsonga en 2015, n'est lui pas rancunier. "J'étais très content de revenir aujourd'hui (mardi, pour le premier tour). Depuis que j'ai gagné (en 2015), ça va mieux et ça a beaucoup changé", affirme le Suisse, n°3 mondial.
Suffirait-il donc de gagner pour amadouer les spectateurs de Roland-Garros ? Pas certain. Même Rafael Nadal, le maître absolu des lieux, a été "victime" du comportement parfois abrupt du public parisien, qui avait ouvertement soutenu Robin Söderling contre lui en 2009. Car le goût pour les surprises guide parfois exagérément les réactions des spectateurs de Roland-Garros.
Henri Leconte hué après sa finale perdue en 1988 :
L'US Open, "le plus électrique". Volontiers au soutien du "petit" contre le "gros", le public parisien se distinguerait également, de l'avis de plusieurs journalistes habitués du circuit, par son exigence. "C'est un vrai public de licenciés, probablement celui qui connaît le mieux le tennis, le plus connaisseur avec celui de Wimbledon. Ce n'est pas un public méchant, même s'il peut être cruel", souligne Vincent Cognet, journaliste à L'Équipe, qui couvre les quatre levées du Grand Chelem. "À l'Open d'Australie, le public est absolument fantastique dans l'esprit. À Wimbledon, il est difficile de trouver un Central plus respectueux", soutient le journaliste.
À ce petit jeu du public de Grand Chelem le plus insupportable, il y aurait donc match entre Roland-Garros et l'US Open. "L'US Open est le public le plus électrique, avec un stade très bruyant. Lors de la finale 2015, ils ont rendu fou Djokovic (contre Federer). Le Central avait eu une attitude détestable ce jour-là." C'est sans doute également ce que se dit Martina Hingis. Lors de la finale dames 1999, la Suissesse avait été victime de Steffi Graf et de l'hostilité d'un court tout entier acquis à la cause de son adversaire…