Pourquoi le foot français va dans le mur. C'est un ouvrage* au titre sans détour que deux acteurs du football français, Faouzi Djedou-Benabid, recruteur, et Yacine Hamened, éducateur, publient ce mois-ci à l'issue d'une saison marquée par les performances moyennes des clubs français en Coupe d'Europe - à l'exception du PSG et de Monaco en Ligue des champions - et un spectacle en Ligue 1 d'assez faible niveau. Le football français tarde à passer à la vitesse supérieure et les auteurs de ce petit réquisitoire, sec et incisif, pointent notamment du doigt la qualité de la formation à la française.
Des clubs formateurs qui ne savent plus (bien) former. Rennes, Nantes, Saint-Etienne, Toulouse, Metz : autant de clubs réputés par le passé pour leur centre de formation qui, aujourd'hui, ne font plus émerger de grands talents et qui, le plus souvent, ennuient leur public. "Le problème, ce n'est pas que les clubs n'investissent pas, c'est qu'ils font de mauvais investissements", souligne Yacine Hamened au micro d'Europe 1. "Dans le football français, on mise d'abord sur le résultat. Donc, quand on va choisir un joueur de 16 ou 17 ans, on va en prendre un capable de faire des différences individuelles, mais qui n'a pas de culture collective. Et quand on ne vous a pas fait travailler le football dans votre jeunesse, on ne peut pas vous l'apprendre à 22 ou 23 ans…"
Le constat dressé par les deux auteurs rappelle les polémiques autour des quotas puis celle, plus récente, des déclarations de Willy Sagnol, sur le manque de diversité au sein des profils de joueurs. "Il y a une explication sociétale à ces déclarations. Ceux qui jouent au football, ce sont des joueurs de quartier en majorité, avec toute la diversité que ça apporte", relève Yacine Hamened. "Mais le souci, ce n'est pas la couleur de peau ou l'origine, c'est qu'on prend toujours le même type de joueurs. Tous les n°6 se ressemblent, tous les défenseurs centraux se ressemblent. Tous les attaquants se ressemblent. On n'a pas de variété parce qu'on ne prend pas le temps de se dire : 'bon, on ne va pas penser aux résultats, on va penser à autre chose'. Le problème est qu'on a un football stéréotypé, ou presque. Tout le monde pense de la même façon, et là, on en vient au problème de la DTN, à savoir qu'on forme les entraîneurs d'une seule façon."
Entraîneurs : les méfaits de la pensée unique. On a beaucoup parlé de l'absence de Marcelo Bielsa (entraîneur de l'OM) ou de Leonardo Jardim (Monaco), non plébiscités par leurs homologues et absents des finalistes au trophée UNFP de meilleur entraîneur de la saison. Pas surprenant pour Yacine Hamened, pour qui les Christophe Galtier et autre René Girard ne sont que les représentants au plus haut niveau d'un système de pensée bien établi. "En France, on pense que la première chose à faire, c'est d'être bien en place, de bien défendre, surtout ne pas prendre de risque, ne pas se déséquilibrer, donc on va former des joueurs qui vont rentrer dans ce système-là", relève encore l'éducateur. "On va mettre de côté tout ce qui est créativité, prise de risque et dépassement de fonction. Et on arrive à des joueurs plutôt bons, pas extraordinaires, pas nuls, mais moyens, standards, qui vont tous être capables de faire la même chose, mais qui ne vont pas être capables à un moment donné de franchir un cap, de passer le niveau et de devenir de très, très bons joueurs."
Et l'éducateur de citer les contre-exemples, à commencer par la milieu de terrain de la Juventus Turin, Paul Pogba, qui a commencé sa formation en France avant de la terminer en Angleterre, à Manchester United. "Quand on le voit jouer, il a un rôle, défensif, sur le terrain. Mais on le laisse faire d'autres choses, prendre confiance, aller frapper au but, etc", s'enthousiasme Yacine Hamened. "Et je pense qu'avec (Nabil) Fekir (joueur de l'OL, ndlr), ce qui s'est passé, c'est qu'Hubert Fournier (l'entraîneur de l'OL, ndlr) a été assez intelligent pour ne pas le brider."
Fekir, Lyon : les exceptions qui confirment la règle. Paradoxe : les deux auteurs critiquent la formation à la française alors que Lyon a décroché cette saison la deuxième place du classement avec un effectif essentiellement "local" (et les meilleurs joueur et espoir de la saison, Lacazette et Fekir). "Oui, mais avec Lyon, je vous avance un autre paradoxe", répond Yacine Hamened. "C'est en partie un choix par défaut. Les jeunes Lyonnais émergent parce que l'OL a eu des difficultés économiques pour recruter. Certains auraient certainement réussi à percer mais il n'y en aurait pas eu autant. Malgré tout, l'OL travaille bien et a décidé d'avoir un vrai projet sur les jeunes, un vrai projet football, avec notamment un stade aux capitaux privés. A Lyon, on forme des joueurs de football, pas des joueurs individualistes qui vont finir par se perdre dans un collectif."
Notre consultant Guy Roux, qui a fait d'Auxerre l'un des paragons de la formation tricolore, salue lui aussi la réussite de l'OL. "Lyon a une continuité parce qu'il y a une continuité dans la présidence, il change d'entraîneur de l'équipe première tous les trois ans environ, mais ils ont une continuité dans les éducateurs de base. Et ils ont surtout une grosse agglomération, très footballistique. Le grand Lyon, c'est deux millions de personnes et il y a énormément de clubs. C'est un vivier où il trouve actuellement leur fortune, avec par exemple Fekir. Pour d'autres clubs de France, comme Auxerre, c'est un peu plus difficile, il faut aller recruter sur Paris." Paris où le PSG, lui, est très loin de ces problématiques autour de la formation (seul Adrien Rabiot a eu un rôle à jouer cette saison parmi les joueurs formés au club), même si le président du PSG, Nasser Al-Khelaïfi, a rêvé de dénicher un jour le Messi francilien. Avec Jean-Christophe Bahebeck, on est encore un peu loin.
*Pourquoi le foot français va dans le mur, Faouzi Djedou-Benabid et Yacine Hamened, Hugo Sport, 183 pages, 14,50 euros.