François Hollande et le gouvernement n’en font pas mystère : ils comptent sur la droite sénatoriale, lors de l’examen, à partir de lundi et jusqu’au 24 juin, de la loi Travail. Le calcul de l’exécutif est simple : plus la Chambre haute "droitisera" le texte, plus la version adoptée à l’Assemblée via le 49-3 aura l’air de gauche. Sauf que les sénateurs de la droite et du centre ont flairé l’embrouille. "François Hollande a bien tort de se réjouir", a prévenu Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, lundi sur RTL. La stratégie adoptée par la majorité sénatoriale est là aussi des plus simples : assumer d’une part, dénoncer la tactique adverse de l’autre. Et contre-attaquer.
"Il ne faut pas tomber dans le piège que nous tend la gauche", résume Bruno Retailleau dans Le Figaro. "Le vrai risque pour la majorité sénatoriale serait de rentrer à la niche après les admonestations de la gauche, comme nous l'avons vu avec Manuel Valls et Jean-Christophe Cambadélis, mercredi soir", poursuit l’élu de Vendée, en référence aux propos du premier secrétaire du PS et du Premier ministre qui avaient dénoncé les "régressions" de la droite sénatoriale lors d’un meeting. Alors loin de reculer, la droite adopte une ligne à droite toute.
Coup de barre à droite. Les modifications apportées en commission le prouvent. Fin des 35 heures, plafonnement des indemnités prud’homales, prise en compte du seul périmètre national pour justifier des licenciements abusifs, possibilité de faire travailler, temporairement, les salariés jusqu’à 60 heures par semaine, possibilité de faire travailler un apprenti de 14 ans dix heures par jour… Tous ces points devraient être validés en séance par la majorité sénatoriale. "Les réformes que nous allons inscrire ne sont pas contre les salariés mais contre le chômage. Nous voulons en faire une loi contre le chômage de masse", assure Bruno Retailleau pour expliquer ce coup de barre à droite.
Le spectre des primaires. Le patron des sénateurs LR n’oublie pas non plus que les candidats à la primaire de son parti ont tous livré un programme à forte connotation libérale. "Si la droite sénatoriale avait repris le texte issu du 49-3, cela aurait été terrible pour nous. Cela aurait signifié qu'il n'y a aucune différence entre la gauche et la droite, alors que tous les candidats à la primaire proclament leur volonté de réformer", rappelle-t-il. "Au moment où nous allons entrer dans un cycle présidentiel, si la droite et le centre au Sénat n'étaient pas capables d'assumer une réforme et leurs convictions, ils prendraient le risque d'envoyer un très mauvais signal. Ce serait une décrédibilisation de tous nos candidats à la primaire."
"Nous pouvons aider le gouvernement". La droite sénatoriale compte bien aussi profiter des critiques formulées à l’encontre du gouvernement par la gauche de la gauche sur sa propension au libéralisme. "Nous pouvons aider le gouvernement à mieux faire. Il peut même garder certains points dans le périmètre du texte qu'il retiendra en cas de recours au 49-3 en deuxième lecture à l'Assemblée nationale. Je peux vous dire que le cabinet de Myriam El Khomri a admis que certains éléments pourraient être intégrés, lâche Bruno Retailleau, joueur. "Ils ne les accepteront pas en totalité, mais ils peuvent parfaitement le faire sur certains points. Le Sénat va essayer d'inciter le Premier ministre à faire un peu plus."
"Surenchère ultra-libérale". Pour le coup, difficile de croire que Manuel Valls tombera dans le panneau. Le Premier ministre continuera de dénoncer, comme il l’a fait à plusieurs reprises ces derniers jours, une réécriture "ultra-libérale" du texte dans une "surenchère" droitière. Les sénateurs socialistes matraqueront aussi le message. "La droite sénatoriale sacrifie le droit du travail", accuse le patron des sénateurs PS, Didier Guillaume. "Le texte porte désormais atteinte aux droits des salariés". Les rôles sont donc bien distribués, et on voit mal l’un ou l’autre acteur sortir de sa posture dans les prochains jours.
Et au final, un nouveau 49-3 ? D’autant que, comme souvent, les débats qui auront lieu au Sénat pendant une dizaine de jours devraient au final être balayés d’un revers de manche. Car après son passage à la Chambre haute, le texte fera l'objet d'une commission mixte paritaire Assemblée/Sénat chargée de trouver un accord. En cas d'échec, attendu, c'est l'Assemblée nationale qui aura, in fine, le dernier mot. A ce moment-là, Manuel Valls utilisera très probablement à nouveau le 49-3. Et ça, à coup sûr, on en reparlera.