Avec Marcelo Bielsa, c'est un peu tout ou rien. Désigné par Pep Guardiola comme "le meilleur entraîneur du monde", adoubé en Amérique du Sud et particulièrement apprécié à Marseille, où il a laissé une sacrée empreinte lors de son passage sur le banc phocéen en 2014-2015, "El Loco" ("Le Fou") peine à convaincre à Lille. Malgré la confiance, malgré les moyens, malgré les promesses. À l'heure de retrouver l'OM dimanche soir en Ligue 1, le club nordiste, avec six petits points, pointe à une triste avant-dernière place en championnat. La recette n'a visiblement pas (encore) pris.
Un projet trop parfait ? Tout avait si bien commencé. Cet été, Gérard Lopez, propriétaire du Losc depuis janvier, annonce l'arrivée sur le banc lillois du technicien argentin, avec un contrat de deux ans à la clé. Pour Bielsa, les conditions sont optimales, peut-être trop même : un stade quasi-neuf, un centre d'entraînement entièrement remodelé et les pleins pouvoirs concernant le recrutement. 70 millions d'euros plus tard, une dizaine de joueurs font leur arrivée au domaine de Luchin. Le coach, connu pour son intransigeance, ne pouvait rêver mieux. Après une onzième place l'an passé, les ambitions sont revues à la hausse : finir dans le "Top 5" et décrocher l'Europe à la fin de la saison.
De quoi faire briller les pupilles des supporters, d'autant que le Losc démarre sa saison en fanfare. Lors de la première journée, les Dogues font forte impression face au FC Nantes de Claudio Ranieri (3-0).
Un démarrage compliqué. Depuis ? Aucune victoire en huit matches de Ligue 1 (cinq défaites, trois nuls) et une qualification dans la douleur pour les huitièmes de finale de la Coupe de la Ligue, contre Valenciennes (2-2, 5-4 T.A.B.). Le club n'avait plus connu démarrage aussi poussif depuis 1993-1994. Dix-huitième après neuf journées, Lille avait finalement terminé l'exercice à la 15ème place. Un résultat somme toute logique à l'époque, au vu de ses ambitions limitées et de sa mauvaise santé financière. Sauf que cette année, le Losc s'appuie sur le cinquième budget de France…
Un mercato en question. Mario Lemina, Florian Thauvin, Gianelli Imbula, Michy Batshuayi, Benjamin Mendy … Tous sont passés sous les ordres de l'Argentin à Marseille. Tous ont été revendus avec d'énormes plus-values. Dans le Nord, le pari est le même. Les espoirs s'appellent Yves Bissouma, Nicolas Pepe, Luiz Araujo, Thiago Maia ou Thiago Mendes. Des joueurs pleins de promesses, mais inexpérimentés. Lors de la dernière journée à Rennes, la moitié de l'équipe n'avait jamais joué en Ligue 1 avant cet été… Et le onze titulaire était composé de huit nationalités différentes. Ceci pourrait expliquer en partie certains problèmes de communication et d'adaptation.
D'autant que dans le même temps, le tacticien originaire de Rosario a choisi d'écarter de nombreux anciens qui auraient pu s'avérer utiles, comme Marko Basa, Vincent Enyeama ou Rio Mavuba. Et que dire du départ à Bordeaux de Nicolas de Préville, auteur de 14 buts la saison dernière en L1 et excellent lors de ses premiers matches sous le maillot rouge…
Des choix tactiques critiqués. Compliqués à comprendre, aussi, sont certains choix tactiques de Marcelo Bielsa. Si le groupe faisait bloc jusqu'ici pour défendre son entraîneur, il semblerait que les derniers résultats ont eu raison de cette unité. Selon RMC Sport, plusieurs joueurs se sont ouvertement plaints auprès du staff lors de leur entraînement mardi. "Notre objectif était clair, dire au coach qu’on ne veut plus jouer avec sa tactique", aurait ainsi lancé un des joueurs présents. "Plusieurs joueurs en ont marre de ne pas jouer à leurs postes. On joue mal, faut pas se mentir. Les tests, on n'a plus le temps de les faire. On devait le dire au coach sinon on allait dans le mur", rapporte RMC Sport.
Dans les faits, difficile de contredire ce constat. Nicolas Pépé, débauché à Angers pour 10 millions d'euros après une très bonne saison sur l'aile droite, occupe la pointe de l'attaque à Lille. Yves Bissouma, plutôt habitué à évoluer au cœur du jeu, a récemment été repositionné arrière droit. Thiago Maia, milieu récupérateur de formation, est quant à lui régulièrement replacé latéral gauche. Acheté 14 millions d'euros à Santos, le Brésilien vivrait tellement mal la situation qu'il pourrait faire ses valises dès le mercato d'hiver, à en croire ESPN Brésil.
Un malaise palpable. Selon Marcelo Bielsa, cette réunion improvisée n'a jamais eu lieu. Reste que le malaise est réel. Il suffit de regarder le visage de l'Argentin, et d'écouter ses conférences de presse. "Je suis sûr que personne ne souffre autant que moi de cette situation et j'inclus tout le monde", a-t-il ainsi avoué vendredi.
"J'ai reçu et je reçois des humiliations constantes qui exigent de l'humilité. Ce mépris vis à vis de mes capacités est lié au manque de résultat. Et comme c'est parfaitement logique et compréhensible, cela crée de l'instabilité. Je n'ai pas besoin qu'on me le dise clairement car tous les indicateurs parlent d'eux-mêmes", a ajouté "El Loco", qui a toujours exclu de démissionner de son poste, comme il l'avait fait à l'OM, quelques minutes à peine après le premier match de la saison.
Les débuts poussifs, presque une habitude. Pour se rassurer, les supporters peuvent s'accrocher au passé de leur coach. Car il n'est pas rare que les équipes dirigées par Bielsa mettent du temps à se régler. C'était notamment le cas à l'Athletic Bilbao, en 2011-2012. En cinq journées de championnat, les Basques ne comptent que deux points. À l'époque, la direction est même obligée de s'exprimer publiquement pour soutenir son entraîneur. La suite leur donne assurément raison. Bilbao accède à la finale de la Ligue Europa et de la Coupe d'Espagne. Une très belle saison malgré une 10e place un peu décevante en Liga.
Lors de sa deuxième saison sur le banc des Newell's Old Boys, en 1991, Marcelo Bielsa avait connu le même genre de trajectoire : dix-huitième au classement du tournoi d’ouverture, le club argentin avait tout simplement remporté le tournoi de clôture.
"Je suis un spécialiste lorsqu'il s'agit d'assumer des moments difficiles", a-t-il déjà argué. Oui, mais jusqu'à quel point ? Une nouvelle défaite contre l'OM, dimanche, risquerait fortement de mettre en branle la confiance des supporters, déjà bien entamée. Mercredi soir, lors du match de Coupe de la Ligue contre Valenciennes, une banderole est venue le rappeler à ses engagements : "Notre patience n'est pas #unlimited (illimitée)".