A seulement 29 ans, Morgan Lagravière est l'un des outsiders du 8ème Vendée Globe, qui s'élance dimanche des Sables-d'Olonne. Nous l'avons rencontré dans ses eaux, lors d'un entraînement, quelques jours avant l'immense défi de sa vie. Déjà un pro, malgré son jeune âge, il s'est confié sur ses angoisses, celles d'un bizuth qui va vivre pour la toute première fois la plus belle course à la voile en solitaire.
EPISODE 1/3 - Le stress du bizuth
EPISODE 2/3 - La préparation du pro
EPISODE 3/3 - La solitude du marin
Aucune belle parole ne précède les grands départs. Et pourtant, Morgan Lagravière (team Safran) devra bien dire ou faire quelque chose. Ce jeune marin au physique de gendre idéal a répété la scène des dizaines de fois dans sa tête. Avec les mêmes questions qui reviennent sans cesse. Comment dire au revoir ? Comment étreindre ses proches pour la dernière fois ? Enlacer ses parents, c’est certain. Déposer un ultime baiser sur les lèvres de sa compagne, c’est indispensable. Puis monter à bord. Et prendre le large pour de bon.
LE grand moment, cela fait plus de "3 ou 4 mois" que Morgan se prépare à le vivre. Quand je l’ai rencontré, pour un dernier entraînement, au large de Concarneau à la mi-octobre, sa maîtrise et son professionnalisme m'ont immédiatement saisi. Ce jeune Réunionnais domine avec un sang-froid étonnant son IMOCA – classe de bateau qui mesure exactement 60 pieds (18,28 m) pour 6 mètres de large et 4,50 mètres de tirant d’eau. Lui qui a commencé l’Optimist à l’âge où d’autres enfants apprennent à faire du vélo connaît par cœur le moindre recoin de son monocoque. Et s'il enchaîne les manœuvres aussi vite que ce mastodonte des mers fend l'eau, il semble un peu plus friable psychologiquement. Il ne cherche d'ailleurs pas à le cacher : il "appréhende le grand jour".
" L’émotion, elle va être forcément très intense. Mais j’ai envie d’être moi-même à ce moment-là même si je sais que ça va être dur, que je vais en chialer. "
Au fil des heures passées sur l'eau avec lui, ce gaillard d'1,81 m aux mains déjà bien calleuses confie peu à peu ses angoisses. "Je n’avais jamais ressenti autant de doutes à l’approche d’un départ", reconnaît Morgan, même s'il compte bien garder le plus longtemps possible en ligne de mire Armel Le Cleac’h (team Banque Populaire), le favori du Vendée Globe. Des doutes ? "Bien sûr, presque tous les jours". Quand on lui demande s'il a peur de la mort, sa réponse est catégorique : "non". Mais qu’importe l'échelle des difficultés et de ses inquiétudes, pas question d’enfouir ses angoisses sous la coque. "L’émotion, elle va être forcément très intense. Mais j’ai envie d’être moi-même à ce moment-là même si je sais que ça va être dur". Pour n'avoir jamais le regret de vivre l'expérience à moitié, il refuse de se blinder, quitte à ouvrir les vannes au départ, "je vais en chialer, glisse-t-il. "Dans quelques années, poursuit-il, quand je regarderai dans le rétroviseur, je serai sans doute content de l’avoir vécu de la sorte plutôt que de me protéger, de rester dans ma coquille et d’avoir la sensation de passer à côté de quelque chose".
Prenez le large avec Morgan Lagravière grâce à cette vidéo 360° :
Pour être sûr de ne pas rater sa course, Morgan s’est attaché les services d’un coach mental. Présent à bord lors de ce dernier entraînement, Jean-Claude Ménard observe les moindres faits et gestes de son protégé. "J’essaie de l’aider à évacuer le stress, explique-t-il tout en remettant son bonnet façon commandant Cousteau sur la tête. Le stress n’est pas toujours mauvais conseiller mais il bouffe beaucoup d’énergie. Et l’énergie, il va en avoir besoin sur une course pareille".
Le grand jour approche. Plus aucun entraînement. Plus aucune sortie en mer. Trois semaines avant la course, les skippers doivent laisser leur bateau à quai, aux Sables-d’Olonne, histoire de satisfaire public et sponsors. Derniers réglages. Le ravitaillement à boucler. Les derniers conseils météo à écouter. Les équipes du team Safran s’affairent pour ne rien oublier. Après un rapide break en famille, Morgan, lui, n’a qu’une mission : "dépenser le moins d’énergie possible. Car entre les sollicitations médiatiques et tous les derniers détails, explique-t-il, ça va être compliqué d’arriver à 100% pour le jour du départ. Le tout, c’est de s’en approcher. Car avant de gagner un Vendée Globe, il faut surtout ne pas le perdre".
Découvrez l'épisode 2 : La préparation du pro