Roland-Garros : dans la tête d'un arbitre

Emmanuel Joseph sur sa chaise d'arbitre et entouré des ramasseurs de balle, à Roland-Garros (1280x640) Nicolas ROUYER
Emmanuel Joseph sur sa chaise d'arbitre et entouré des ramasseurs de balle, à Roland-Garros © Nicolas ROUYER/Europe 1
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PSYCHOLOGIE - Europe 1 a rencontré un arbitre des Internationaux de France de tennis afin qu'il nous explique l'avant, le pendant et l'après d'un match.

Du haut de sa chaise, il a la meilleure vue sur le court. Mais il n'est pas un simple spectateur du match : l'arbitre en est aussi l'un des acteurs. Prépare-t-il ses rencontres comme les joueurs ? Comment gère-t-il les heures passées au perchoir ? Vit-il difficilement les erreurs commises pendant une rencontre ? Europe 1 est allé à la rencontre d'Emmanuel Joseph, l'un des cinq Français figurant dans l'élite de l'arbitrage mondial (ils sont 25 en tout). Arbitre depuis 2000, à la direction de deux finales à Roland-Garros (en 2006 et 2008 chez les femmes) et de plusieurs demi-finales, il nous explique ce qui lui passe par la tête avant, pendant et après un match.

Emmanuel Joseph, arbitre à Roland-Garros

AVANT : la préparation. "Tard en soirée, une fois que toute la programmation a été établie pour le lendemain, je reçois un mail du chef des arbitres qui me dit dans quelle rotation je vais être : première, deuxième, troisième ou quatrième match. Je ne sais ni le court ni l'affiche. Je ne le sais que le matin suivant.

Une fois que je connais les joueurs et les joueuses, je me renseigne, je regarde s'ils sont compliqués à gérer ou pas. Plus on est expérimenté, mieux on connaît les joueurs, s'ils veulent deux ou trois serviettes en arrivant, etc. L'avant-match est le moment le plus difficile à gérer pour moi. Il faut sans cesse vérifier quel est le score du match précédant le mien. Quand on est deuxième après un match qui commence à 11h, on peut arriver sur le court à 12h, comme à 16h. J'essaie de bien gérer mon temps, ne pas m'exposer au soleil, ne pas manger juste avant le match, parce que sinon, je serais un peu lourd (sourires). Je regarde aussi la météo pour savoir s'il y a une averse de prévue et à quelle heure elle est prévue. Les finales se préparent différemment. On déjeune avec les juges de ligne, on mange léger la veille. Fruits de mer et tout ça, on évite (sourires). Et après, il y a un peu plus de stress, il faut l'avouer. On vérifie tout cinq fois au lieu de deux. Et je pense que pour les joueurs, c'est pareil."

Emmanuel Joseph lors de la finale 2008 entre Ana Ivanovic et Dinara Safina :

arbitreOK

PENDANT : la concentration. "A part si un joueur se blesse ou si on doit vérifier une marque, on ne descend pas. On est perché sur notre chaise et on n'en descend pas. Les chaises sont assez confortables ici mais il y a des chaises sur certains tournois qui sont bien plus compliquées à gérer (sourires). Pour la circulation du sang, j'allonge régulièrement mes jambes. Maintenant, on a une protection au-dessus de notre tête pour faire un peu d'ombre. Je fais attention à bien m'hydrater pendant le match mais sans avoir besoin d'aller aux toilettes pour autant (sourires). Ce n'est pas interdit mais c'est peu fréquent.

Avec le joueur, je n'essaie pas d'établir un rapport de forces mais plutôt un rapport de confiance. S'ils nous font confiance dès le départ, le match va bien se passer, ils vont être plus détendus et ça va nous faciliter le travail. Ici, à Roland-Garros, on n'a pas l'arbitrage vidéo mais on peut vérifier la marque sur la terre battue. Pour les arbitres qui n'ont pas été élevés sur cette surface, c'est plus compliqué parce que c'est très technique. Il faut garder la marque en vue tout en essayant de communiquer avec le joueur pour savoir s'il veut qu'on y aille ou pas. Et quand on va sur place, il faut bien interpréter la marque, et c'est parfois difficile, avec les coups de vent ou de balai…

On travaille en équipe avec les juges de ligne. Là aussi, c'est important d'être en confiance. Il faut que le juge de ligne sache que je suis là donc je lui fais des signes de réprobation ou de félicitation. Avec le public, il faut parfois prendre au contraire un peu de recul. Je peux jouer sur ma voix quand je fais une annonce. Ça ralentit ou ça relance le public. Il y a certains de mes collègues qui en jouent beaucoup plus (sourires). Et sinon, je ne me dis jamais 'vivement que le match soit fini', sauf quand il pleut, qu'il fait froid, et que le match n'est pas intéressant... 

APRÈS : l'analyse. "Dès que j'ai fini mon match, je vais signer la feuille officielle pour que les journalistes puissent accéder aux statistiques. Ensuite, s'il s'est passé des incidents, je fais un rapport et je fais mon autocritique : 'est-ce que j'ai été un peu trop dur ou un peu trop laxiste ?' sur telle ou telle situation de jeu. Comme tous les matches ou presque sont aujourd'hui filmés, j'ai la possibilité de revoir certaines actions à la vidéo et d'en discuter avec des collègues. En cas de faute, je peux être sanctionné et ne pas avoir un grand match le lendemain. Personnellement, quand je rate un match, je n'ai pas trop envie de m'amuser en boîte de nuit, je rentre dans ma chambre très vite (sourires). Puis vient le match du lendemain. Alors oui, il y a des matches qu'on a plus envie d'arbitrer que d'autres, comme les spectateurs souhaitent en voir davantage que d'autres, mais jamais je ne vais demander à faire tel ou tel match. Je le garde pour moi, j'espère jusqu'au matin et là, je découvre mon sort…"