Le rebond ou la crise : voilà l'enjeu du deuxième test-match de novembre entre le XV de France et l'Argentine, samedi à Villeneuve-d'Ascq (21h05). Minés par une série de cinq défaites, dont une dernière cruelle contre l'Afrique du Sud (29-26), les hommes de Jacques Brunel sont condamnés à l'emporter face aux Pumas. Les mêmes qu'ils retrouveront au Japon dans moins d'un an, pour leur premier match au Mondial.
Une rencontre décisive moralement
Si les Bleus seraient bien inspirés de regarder vers l'avenir, la tâche n'est pas des plus évidentes : l'invraisemblable défaite face aux Springboks samedi dernier, alors qu'ils tenaient un succès de prestige et porteur d'espoirs, a laissé des traces. Les erreurs grossières commises en fin de match - mais aussi avant - en ont rendu certains très amers. Dans les couloirs du Stade de France, les anciens, comme Yoann Maestri, Mathieu Bastareaud ou Guilhem Guirado, oscillaient ainsi entre abattement et ras-le-bol.
Au lieu de s'avancer face à l'Argentine emplis de certitudes, les Français abordent donc ce match en panne de confiance. Et l'adversaire à venir a tout pour mettre leur mental à rude épreuve. "Ce sont des casse-couilles", ont résumé de concert Cedate Gomes Sa et Camille Lopez. "Ils charrient, balancent des petites phrases pour te faire sortir du match. À nous de ne pas rentrer dans ce jeu", réclame le pilier du Racing 92.
Pour autant, "il va falloir qu’on soit un ton au-dessus dans l’agressivité pour pouvoir leur faire comprendre qu’on est là", a tranché le demi de mêlée Baptiste Serin, qui avait joué ses premières minutes en sélection contre l'Argentine. "Il ne faudra pas qu’on soit des petits agneaux. S’ils rentrent dans la provocation, il faudra aussi qu’on leur montre qu’on est chez nous et qu’on a du caractère".
Leur honneur est en jeu : en cas de défaite, ces Bleus-là deviendraient en effet les premiers dans l'ère professionnelle du XV de France à enchaîner six test-matches perdus de rang. L'an passé, la série s'était arrêtée à cinq, grâce à un bien triste et historique match nul face au Japon (23-23).
Une répétition avant le Mondial
L'incidence psychologique que pourrait avoir le match de samedi est telle que l'ouvreur vedette des Argentins, Nicolas Sanchez, a parié que "l'équipe qui gagne ce week-end aura de fortes chances de gagner à la Coupe du monde", le 21 septembre 2019, lors du premier match de la poule C, disputé au stade Ajinomoto de Tokyo. "Ce n'est pas un match de préparation", a nuancé en français le futur n°10 du Stade Français.
Les Bleus, eux, ne se projettent pas tant. "Je le connais bien, il dit ça pour nous mettre de la pression mais je ne pense pas que ce soit le cas", avance son ex-coéquipier à Bordeaux-Bègles, Baptiste Serin. "Je vais lui répondre que celui qui gagne le match de samedi gagne le match de samedi", a appuyé le pilier girondin Jefferson Poirot.
"On tirera peut-être des enseignements de ce match mais je dis depuis le début que ça n’aura que très peu d’incidence sur le match de la Coupe du monde", insiste pour sa part Jacques Brunel. "Cette rencontre n’est pas le prélude de la Coupe du monde. On sera dans des conditions complètement différentes avec des équipes qui auront un temps de préparation identique."
Reste que le sélectionneur du XV de France a tout juste assez de doigts pour compter les matches qui le séparent de ce rendez-vous inaugural, dans dix mois : deux en novembre, cinq pendant le Tournoi des Six nations, et trois de préparation au Mondial.
Le parfait adversaire pour se jauger
Avant de conclure leur tournée automnale (le 24, au Stade de France) contre de Fidji qu’ils ont toujours battu, les Tricolores se frottent donc à l'Argentine. Et qui mieux que les Pumas pour jauger le niveau des Bleus ? Les hommes de Mario Ledesma évoluent en effet dans les mêmes eaux du rugby mondial que les Français (ils sont neuvièmes au classement IRB, juste derrière les Bleus).
À la dérive sous Daniel Hourcade depuis la dernière Coupe du monde - où ils avaient atteint les demi-finales – les Pumas ont d'ailleurs retrouvé des couleurs depuis l'arrivée à leur tête de Ledesma et de son adjoint Gonzalo Quesada. Comme ils l'ont prouvé cet été, ils sont désormais capables de rivaliser ponctuellement avec l’Australie et l’Afrique du Sud, qu'ils ont tous les deux battu lors du Four Nations. Samedi, la sélection sud-américaine a aussi résisté pendant une heure en Irlande (défaite 28-17).
Son bilan face à la France, lui, est des plus équilibrés, avec cinq victoires et cinq défaites lors de leurs dix dernières confrontations. Si la dernière, en juin 2016, avait largement tourné à l'avantage du XV de France (0-27), la gifle de 2007, en match inaugural de la Coupe du monde, à Saint-Denis (12-17) reste encore dans toutes les mémoires. Cela fait plus de dix ans, il n'empêche : les Français sont prévenus.
La légitimité du sélectionneur en jeu
Un sixième revers de suite en test-match entamerait évidemment la confiance en Jacques Brunel. L'ancien coach de Bordeaux-Bègles avait pris la tête de la sélection le 3 février dernier, contre l'Irlande (13-15)… Mais n'a plus connu le succès depuis le 10 mars contre l'Angleterre (22-16). S'il semble avoir redonné un peu de corps aux Tricolores, son bilan de deux victoires pour sept défaites s'avère bien maigre.
Et le moustachu joue gros. Pour affronter l'Argentine, il n'a procédé qu'à deux changements par rapport au match contre l'Afrique du sud, avec les titularisations de Gaël Fickou, l'homme en forme du début de saison, et de Yoann Huget. Deux remplacements davantage dictés par les blessures que par un choix tactique. Une stratégie payante ? Lui y croit : "Si on était à 10 kilomètres (des meilleurs), je serais plus inquiet", a-t-il assuré. "À un moment donné, ça va basculer". Reste à savoir de quel côté.