Il lui aura suffi de six kilomètres à peine pour écœurer ses concurrents. Depuis sa fulgurante attaque pyrénéenne dans le col de la Pierre-Saint-Martin, Christopher Froome et son infernal fréquence de pédalage ont assommé en quelques tours de roues le Tour de France et la concurrence. Le maillot jaune solidement accroché sur ses frêles épaules, "Froomey" aborde donc les quatre dernières étapes alpestres en monarque incontesté du peloton sur cette Grande Boucle 2015. Sauf que le coureur britannique, royal dans les Pyrénées, doit encore éviter la fronde de ses vassaux dans les Alpes. Avec plus de trois minutes d'avance sur Nairo Quintana, son dauphin au classement général, tous les voyants sont au vert. Mais l'histoire du Tour a réservé quelques renversements de situation mémorables sur les pentes des cols mythiques que sont le Galibier, la Croix-de-Fer ou l'Alpe d'Huez. Retour sur quelques unes des plus belles épopées alpestres, qui pourraient (ou non) inspirer les rivaux du Kenyan blanc.
- 1948 : Bartali douche les espoirs de Bobet à Aix-les-Bains
Raphaël Geminiani, l'un des plus grands grimpeurs français, résumait parfaitement toute la dramaturgie de cette 14e étape du Tour 1948 entre Briançon et Aix-les-Bains : "Le Galibier au milieu d’une tourmente de neige, la Croix-de-Fer dans la gadoue, le col de Porte en plein brouillard et la Chartreuse (Cucheron et Granier) sous la neige." Ce jour-là, les éléments viennent compliquer encore un peu plus les difficiles ascensions des cols des Alpes proposées sur cette étape de 263 kilomètres ! Dans le col de la Croix-de-Fer puis dans le col de Porte, Bartali, dauphin de d'idole française Louison Bobet, met en difficulté le Maillot Jaune qui s'essouffle. Bartali rallie Aix-les-Bains en vainqueur plus de sept minutes devant Bobet et prend la tête du Tour. Il remporte alors sa deuxième Grande Boucle, dix ans après sa première victoire.
Faisabilité : 0,1%
Autre temps, autres mœurs. Les quatre étapes de montagne qui restent à parcourir sur ce Tour 2015 n'ont ni la longueur, ni la difficulté de celle remportée par l'Italien en 1948. Alors que les victoires lors des arrivées au sommet se jouent souvent dans les derniers kilomètres de l'ascension finale, aucun favori ne devrait prendre le risque de lancer une course de mouvement d'aussi loin.
- 1975 : Merckx, le coup de bambou de Pra-Loup
Cette année-là, "le cannibale" n'assouvira pas son insatiable appétit de victoires. Avec cinq Tours de France à son palmarès, Eddy Merckx est le grand favori de cette édition 2015. Mais sur les pentes de Pra-Loup, où il mène la course, le Maillot Jaune semble soudainement peser des tonnes sur les épaules du Belge. Victime d'une terrible défaillance, en quatre kilomètres, Merckx voit Bernard Thévenet fondre sur lui puis le distancer de deux minutes à l'arrivée. Au terme de l'étape, le Français revêt la tenue or pour ne plus la lâcher. Et met fin à la domination sans partage de Merckx.
Faisabilité : 5%
Une fringale ou une défaillance. Voilà le principal danger qui guette Chris Froome dans les prochains jours. Largement supérieur à ses adversaires, le Britannique a déjà été victime d'un coup de moins bien dans l'Alpe d'Huez sur le Tour 2013.
- 2006 : Landis, l'échappée du dopé de Morzine
Le jour où le conte de fée tourne au cauchemar pour l'Américain Floyd Landis. Victime d'un terrible coup de bambou la veille dans la montée vers La Toussuire où il perd près de 9 minutes sur ses rivaux, le coureur de l'équipe Phonak prend l'échappée du jour. Après 150 kilomètres de folle cavalcade, il termine en solitaire à Morzine et reprend 6 minutes à tout le monde au terme d'une performance hallucinante. Revenu à la troisième place du général, il remportera ensuite ce Tour 2006... avant d'être contrôlé positif avec un niveau de testostérone onze fois plus élevé que les seuils autorisés sur cette étape victorieuse. Imperturbable, Landis répond aux accusations de dopage par cette excuse surréaliste : "la veille de la 17e étape, j'ai bu plusieurs bières et quatre verres de whisky (l'alcool peut augmenter le taux de testostérone, ndlr)".
Faisabilité : 0%, du moins on l'espère
- 2011 : Schleck, la folle épopée de Serre-Chevalier
L'une des offensives les plus chevaleresques de ces dernières années. A 60 kilomètres de l'arrivée, Andy Schleck attaque dans le col de l'Izoard et peut compter sur le soutien de son coéquipier Maxime Monfort, parti dans l'échappée matinale, pour l'emmener vers l'ascension finale du col du Lautaret. Le Luxembourgeois remporte la plus belle victoire de sa carrière au sommet, et reprend 2'15'' à son principal rival, l'Australien Cadel Evans, qu'il devance de 57 secondes au général. Insuffisant malheureusement pour remporter le Tour qu'il perdra lors du contre-la-montre final. Mais encore une fois, les Alpes auront été le théâtre d'un étonnant rebondissement.
Faisabilité : 1%
Pour qu'un tel scénario se reproduise, il faudrait que le deuxième du classement général Nairo Quintana, déjà à trois minutes de Chris Froome, en soit le héros. Car les autres prétendants sont soit trop loin (Nibali), soit trop peu en forme (Contador), soit trop timorés (Van Garderen). Mais on imagine mal le train de la Sky laisser partir ainsi le petit Colombien.