Surnommé "le Grand fusil" pour sa propension à placer des attaques sèches et soudaines, Raphaël Géminiani, deuxième du Tour 1951, rival de Fausto Coppi puis équipier de Louison Bobet, a longtemps attendu avant de gôuter à la joie de porter le Maillot jaune. Ce fut à l'occasion de sa onzième participation, en 1958.
"De 1948 à 1958, le Maillot jaune me passait sous le nez à chaque fois. En même, il y avait de sacrés adversaires", relève l'ancien coureur, aujourd'hui âgé de 94 ans. "Mais sur la 13ème étape du Tour 1958, entre Dax et Pau, j'ai pris le Maillot. Si je ne l'avais pas pris sur ce Tour, je ne l'aurais jamais eu. Je le perds le lendemain mais je le récupère dans le Ventoux au contre-la-montre, quatre jours plus tard, puis je le perds de nouveau, à Aix-les-Bains."
"Je ne regrette qu'une chose, c'est de l'avoir eu seulement à 33 ans et pas à 23"
Malgré ce qu'il qualifie de "bonne carrière", Raphaël Géminiani, vainqueur de sept étapes sur la Grande Boucle, garde un souvenir particulier de ces jours passés en jaune. "Le Maillot jaune, c'est une consécration", estime-t-il. "C'est celui qu'on voit. Il est distinctif, il est populaire et popularise le coureur qui le porte. J'étais ravi d'avoir le Maillot, surtout que je l'ai eu sur le tard. Porter le Maillot jaune, ça vous classe au-dessus des autres. Vous êtes le meilleur sur le moment. Ça transforme les coureurs, on sent les médias, les spectateurs… Cela transcende. On ne craint plus personne, d'ailleurs, je ne me suis pas reconnu. Je ne regrette qu'une chose, c'est de l'avoir eu seulement à 33 ans et pas à 23, ça m'aurait changé ma carrière." En plus du Maillot jaune, Raphaël Geminiani a également porté le maillot de leader des deux autres grands Tours au calendrier, le Giro et la Vuelta.
Le Clermontois, ancien directeur sportif et consultant, a toujours gardé un œil sur le Tour, d'autant plus quand les Français viennent de la même région que lui, comme Julian Alaphilippe…
"Il a des jambes de feu", commente Raphaël Géminiani, vainqueur du classement de la montagne en 1951, 67 ans avant Alaphilippe, qui l'a emporté l'an dernier. "Je sentais que c'était un gars de valeur. Je me suis permis d'envoyer une lettre pour l'encourager il y a quelques temps et il m'a dit que c'était l'un de ses plus beaux souvenirs car il se sentait maintenant considéré par les légendes du vélo. Je veux qu'il s'améliore en montagne. La haute montagne, il faut savoir l'aborder, c'est une question de repas, de courage. Ça fait mal dans les reins, les jambes. Un col, c'est très dur, et si on ne souffre pas, on ne peut pas être grimpeur. Mais il a toutes les qualités pour l'être. C'est un gagneur, et depuis (Bernard) Hinault, on en avait plus. Il a une hargne… Il veut gagner et il gagne. Dans ce Tour, il a eu un comportement merveilleux. J'ai vu peu de coureurs se comporter de cette façon. Il est puissant, mais il peut encore s'améliorer. De petits progrès en montagne et il sera prêt pour gagner…"