Lorsqu'en 2011 Eric Walter, secrétaire général de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), propose à Tris Acatrinei de rejoindre l'institution, la blogueuse de 26 ans spécialisée dans la sécurité informatique hésite. La Hadopi est alors détestée des internautes mais cette juriste de formation, alors au chômage, décide de relever le défi. Elle y restera un peu plus d'un an, en tant que Chargée de mission Web, à tenter de comprendre et s'adapter aux arcannes de cette organisation. Dans son livre intitulé "Plongée au cœur de l'institution la plus détestée de France"*, Tris Acatrinei décrit sa courte mais mouvementée expérience au sein de la haute autorité, entre conflits, coups-bas et autres échecs. Elle a accepté de la partager avec Europe1.fr.
> Tris Acatrinei, quand on lit le titre de votre livre, on s'attend à un pamphlet à l'encontre de la Hadopi mais finalement, vous passez autant de temps à la défendre, non ?
Tris Acatrinei : "Je dois préciser que ce n'est pas moi qui ai eu l'idée du bouquin. Un jour quelqu'un m'a dit 'tu devrais partager ton expérience'. Moi je n'avais pas forcément envie de revenir dessus, d'autant que ça ne s'est pas très bien terminé. Mais de fil en aiguille, l'éditeur s'est intéressé à l'idée et après avoir réfléchi à l'axe que je voulais lui donner, je me suis lancé. L'objectif n'était pas de compiler les ragots ou les potins sur la Hadopi ni de dézinguer qui que ce soit. Ce n'est pas un règlement de compte, juste le récit de ce que j'ai vécu pendant plus d'un an. Même si je comprends que certains puissent être décontenancés..."
> Mais les agents de la Hadopi sont tels que certains les dépeignent, c'est-à-dire à mille lieux des intérêts des internautes, sans culture du téléchargement illégal ?
T.A. : "Non mais il faut arrêter de prendre les employés de la Hadopi pour des crétins dans une tour d'ivoire. Ils lisent, écoutent, se renseignent. Ce sont des personnes souvent tout à fait qualifiées pour leurs missions. Le problème, c'est que la Hadopi n'a quasiment aucun pouvoir de décision. Elle n'a jamais fait la pluie et le beau temps en matière de téléchargement, qu'il soit légal ou illégal. Mais les Français continuent de ne pas distinguer la loi de l'institution. Or cette loi est bancale, elle frustre tout le monde : les internautes, les membres de la Hadopi et même les ayants droit.
> En quoi la Hadopi vous a paru différente d'une autre institution française ?
T.A. : "Les prises de décisions sont relativement semblables à ce qui se passe dans les autres institutions : il faut plusieurs validations avant de pouvoir publier quoi que soit. C'est déroutant quand on vient du [secteur] privé, mais ce n'est pas propre à la Hadopi. On perd un temps fou à tout vérifier, faire vérifier, corriger et recommencer les vérifications. Il faut dire qu'elle est constamment moquée et pour en avoir fait l'expérience, ce ne sont pas les articles de fond la concernant qui sont les plus lus."
> Que pensez-vous du rapport Lescure qui propose notamment la fusion de la Hadopi et du CSA ?
T.A. : À titre personnel, légalement, philosophiquement et humainement je n'y suis pas particulièrement favorable. Il faut rappeler que François Hollande avait annoncé, dans son programme présidentiel, vouloir supprimer tout bonnement la Hadopi. Finalement, il n'a pas tenu parole et son gouvernement s'apprête à la fusionner avec une autre institution qui n'y connaît rien. Autant la supprimer directement, ça reviendrait au même, même si les conditions de cette fusion ne sont pas encore connues. Sauf que dans l'histoire de la République, aucune institution publique n'a jamais été supprimée. Ce qui expliquerait peut-être le manque de courage politique du président de la République sur ce point."