L'INFO. Angela Merkel n'a toujours pas avalé la pilule de la NSA. Pour éviter que l'agence américaine de renseignements ne continue de piocher dans les données des pays européens, la chancelière allemande a lancé une nouvelle piste : un réseau Internet européen qui se passerait des infrastructures et services américains. Cette proposition, qui sera présentée mercredi à François Hollande à l'occasion des rencontres franco-allemandes, est-elle techniquement, économiquement et politiquement possible ? Éléments de réponse.
Les États-Unis pointés du doigt. L'idée d'Angela Merkel est de mieux protéger les données des Européens. Pour cela, la chancelière entend déterminer, avec la France "les fournisseurs européens qui sécurisent les données des (…) citoyens". Sans le citer, c'est le géant américain qui est pointé du doigt : "Il faut éviter que les emails et d’autres données soient obligés de traverser l’Atlantique et faire en sorte que l’on puisse construire des réseaux de communication au sein de l’Europe". De son côté, le cabinet de François Hollande a confirmé à l'agence Reuters que la France était d'accord avec les propositions allemandes.
C'est quoi un "Internet européen" ? Angela Merkel est pour le moment restée floue sur les propositions, qui devraient être dévoilées mercredi. Une solution serait de mettre en place des infrastructures uniquement fabriquées par des partenaires européens. Trop compliqué, nous répond Jean-François Beuze, spécialiste réseaux et sécurité sur Internet interrogé par Europe1.fr : "Il n'existe pas d'infrastructures franco-françaises ni même franco-européennes. Si on prend l'exemple des antennes relais, qui transportent les connexions à Internet, il faudrait tout réinstaller. Il y a bien Thomson (marque française de télécom', Ndlr) qui pourrait installer ces antennes, mais cela prendrait un temps fou. Et un investissement monstrueux", balaye l'expert d'un revers de la main.
Économiquement et politiquement impossible. Car outre l'aspect technique, construire un réseau 100% européen représenterait un investissement considérable. "Toutes les entreprises des pays européens qui sont basées sur un réseau Internet fiable devraient revoir leur copie. "Ça coûterait des centaines de millions d'euros !", s'inquiète Jean-François Beuze. Dernier rempart à l'initiative franco-allemande : politiquement, il faudrait que tous les pays européens acceptent de reprendre depuis zéro le déploiement d'Internet. "La Grande-Bretagne, par exemple, n'accepterait jamais : le pays a passé des contrats avec la NSA pour partager une partie de leurs renseignements, et ce depuis de nombreuses années", nous éclaire l'expert. "Et il n'y a pas qu'eux, d'autres pays ont des accords avec la NSA", d'après Jean-François Beuze, sans apporter plus de précision.
Une révolution des usages en ligne irréaliste. Et les internautes dans tout ça ? "Je ne pense pas que les Européens soient prêts à se passer de Gmail, YouTube, Facebook ou Twitter", avance le spécialiste. Or tous ces services ont leurs données hébergées outre-Atlantique. Il faudrait donc, pour que le dispositif imaginé par le couple franco-allemand fonctionne, créer des applications identiques à l'européenne. Surtout, il faudrait les faire adopter massivement aux internautes français, espagnols, italiens ou anglais. Invraisemblable.
Un "coup de bluff" de Merkel. L'initiative d'Angela Merkel a très vraisemblablement été étudiée par son entourage avant cette annonce attendue mercredi. Mais alors pourquoi avancer de tels projets ? "C'est un coup de bluff, un bras de fer engagé avec les Américains. Il s'agit d'envoyer un message à la NSA et au gouvernement de Barack Obama pour dire 'Attention, l'Europe est prête à créer un réseau pour se passer des États-Unis'. Avec en ligne de mire le respect des données privées des internautes européens", analyse le spécialiste de la sécurité en ligne. Une pression sous forme d'ultimatum pour empêcher la NSA d'écouter tout le réseau européen. Car Angela Merkel et François Hollande ne voudraient pas d'un réseau 100% européen : "cela pourrait engendrer une coupure de l'Europe avec les autres continents". Et ça, l'Europe en crise ne peut se le permettre.
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