Mais pourquoi est-il si méchant ? Interrogé sur Europe 1 vendredi, Arnaud Montebourg a annoncé qu’il était très probable que ce soit Numéricable, et non Bouygues, qui rachète son concurrent SFR. Un pronostic accompagné d’une mise en garde : pour le ministre du Redressement productif, ce rachat poserait un grand nombre de problèmes.
Endettement, concurrence, fiscalité, Martial You, chef du service Economie d’Europe 1, décrypte chacun des arguments avancés par Arnaud Montebourg.
Numéricable sera trop endetté
“Numéricable vaut cinq milliards d’euros et l’entreprise va devoir en trouver dix pour acquérir SFR. C’est un endettement très important, d’autant qu’elle doit déjà plus de 2,5 milliards d’euros à ses créanciers. Cela dit, on sait aussi que si elle n’arrive pas à se diversifier, elle n’aura pas les moyens de se développer et donc de rester en vie. Si Numéricable passe à côté de SFR, c’est sans doute une entreprise qui aura du mal à survivre d’ici deux ans.”
Le câble est une technologie du passé
“C’est sans doute une réalité, c’est en tout cas ce que pensent tous ceux qui critiquent Numéricable. A côté de ça, il est très difficile de dire ce qui est dépassé et ce qui représente l’avenir en matière de télécommunications. Il y a une dizaine d’années, les opérateurs ont payé des milliards pour des licences UMTS (une des premières technologies de la 3G, ndlr). A l’époque, Bouygues avait annoncé qu’il n’avait pas l’argent pour développer l’outil et tout le monde l’avait condamné à mort. En réalité, il a eu raison puisque les milliards investis n’ont pas vraiment porté leurs fruits.”
Le retour à trois opérateurs n’affectera pas les consommateurs
“Je suis convaincu qu’on risque que des accords tacites soient passés pour faire remonter les prix. C’est d’ailleurs la crainte émise tout de suite par les associations de consommateurs et je pense qu’elles ont raison. A l’époque où Free n’était pas sur le marché, il y a eu des procès à Bruxelles à l’égard des opérateurs de télécoms sur des accords concernant les prix. Il est suspect que soudainement, le week-end dernier, tout le monde se soit mis sur la même longueur d’onde. Orange, Bouygues et Arnaud Montebourg se sont étripés par presse interposée et sur les réseaux sociaux pour dire tout le mal qu’ils pensaient de Free. Il y a encore quelques semaines, Martin Bouygues promettait une guerre éclair à Xavier Niel. Depuis une semaine, le ton a clairement changé.”
>> A LIRE AUSSI - Rachat de SFR : "situation risquée" pour les consommateurs"
Le marché sera plus stable à trois
“C’est un argument qui s’entend. On a jusque-là quatre opérateurs télécoms dont deux en difficulté : SFR et Bouygues. Tous les deux ont des marges qui se sont réduites et très peu de possibilités pour s’en sortir. L’idée de revenir à trois opérateurs avec une base de clients et un modèle économique sûr est une bonne idée. Il vaut mieux trois acteurs valides plutôt que quatre dont deux malades.
L’idée de consolider Bouygues grâce au réseau d’antennes de SFR lui aurait d’ailleurs permis de se développer plus facilement ensuite. Et c’est important car la France a du retard sur les nouvelles technologies. Sur l’accès à la 4G par exemple, on a un taux de couverture du territoire d’environ 10%, quand il est en moyenne de 20% en Europe.”
Le patron de Numéricable a basé ses avoirs a l’étranger
“C’est de la psychologie. L’Etat n’est pas actionnaire ni de Vivendi (le propriétaire de SFR), ni de SFR. La question de savoir où se trouve l’argent du patron de Numéricable ne doit pas rentrer en ligne de compte. Ce qui doit être pris en compte, c’est le projet industriel. L’entreprise Numéricable est basée en France et elle paye ses impôts en France. Arnaud Montebourg n’a aucun pouvoir là-dessus, si ce n’est celui de son autorité morale. C’est comme s’il disait à Johnny Hallyday : ‘si vous voulez venir faire des concerts en France, vous devez vivre en France et payer vos impôts en France’.“
>> A LIRE AUSSI - Stratégie : le billards à trois bandes du rachat de SFR
Mais alors pourquoi est-il si méchant ?
“C’est un dossier sensible, très populaire, qui concerne le pouvoir d’achat des Français et qui est observé de très près par l’Elysée. Les télécoms, c’est comme l’automobile, tous les Français l’utilisent. La téléphonie fait partie des dépenses quasiment contraintes. Théoriquement, on pourrait s’en passer mais quelles que soient les couches sociales, y compris chez les surendettés, il y a un téléphone portable. Pour ces raisons, le dossier est politique.
C’est plus étonnant que le gouvernement, et notamment Arnaud Montebourg, soit monté autant au créneau. Cela dit, le ministre du Redressement productif est ulcéré depuis toujours par l’évasion et l’optimisation fiscale. Il y a quinze ans, lui et Vincent Peillon étaient surnommés les “chevaliers blancs” de l’évasion fiscale et avaient publié un Livre blanc sur le sujet. Avec Numéricable, il a en face de lui la quintessence de cela : Patrick Drahi, un homme d’affaire français, résident suisse, dont l’argent se trouve à Guernesey, un paradis fiscal. Je pense que c’est la raison principale du parti pris de Arnaud Montebourg.”
FACT-CHECKING - Ce que reproche Montebourg à Numéricable
INTERVIEW - Montebourg : "les dirigeants de Vivendi ont décidé coûte que coûte de vendre SFR à Numéricable"
VIDÉO - Le patron d'Orange ne croit pas à "une hausse des prix"
PETITES PHRASES - Accord Bouygues/Free : "guéguerre" et paix