Plusieurs réseaux sociaux ont décidé de supprimer les comptes d’Alex Jones. Twitter le conserve au nom du "débat public".
Alex Jones. Hors des Etats-Unis, le nom de cet ultra-conservateur, amateur des théories du complot, très populaire sur les réseaux sociaux, est méconnu. Pourtant, outre-Atlantique, il est, depuis plus d'une semaine, au cœur d'une polémique majeure qui divise la Silicon Valley et embarrasse de nombreuses entreprises du numérique, les obligeant même à s'expliquer sur leur vision de la liberté d'expression. Dernier épisode en date, mercredi : Twitter, qui s'était pourtant prononcé en faveur du maintien d'Alex Jones sur sa plateforme, a décidé de suspendre son compte durant sept jours.
Complotiste et proche de Donald Trump
Dire qu'Alex Jones fait polémique aux Etats-Unis serait bien en-deçà de la réalité. Âgé de 44 ans, et souvent décrit comme la figure de proue de l'extrême-droite américaine, celui qui réside à Austin, Texas, partage régulièrement son opinion sur les réseaux sociaux et est l'éditeur du très controversé site InfoWars. Ce dernier, qui compte 21 employés et attire plus de 200.000 visiteurs chaque jours pour 25 millions de pages vues tous les mois, relaie régulièrement les théories du complot en vogue. Parmi les titres publiés sur son site : "Pourquoi la société normalise les maladies mentales ?" ou encore "Un génocide blanc est en cours en Afrique du Sud". Très proche de Donald Trump et réputé pour avoir ses entrées à la Maison-Blanche, Alex Jones se vante notamment d'avoir inventé l'expression "les médias sont l'ennemi du peuple", depuis reprise par le président américain.
Plus osé encore, Alex Jones affirme que la fusillade dans l'école primaire Sandy Hook, dans le Connecticut, qui a fait 26 morts dont 20 enfants en décembre 2012, est un coup monté de toute pièce par le gouvernement de l'époque. Selon lui, l’administration Obama aurait souhaité relancer le débat sur l'interdiction des armes à feu semi-automatiques.
Forte popularité sur les réseaux sociaux
Mais si ces théories, qui se répandent facilement sur les réseaux sociaux, sont généralement portées par des personnalités peu connues, Alex Jones, lui, s'est créé une belle notoriété. Son compte Twitter personnel, @RealAlexJones, est suivi par plus de 890.000 personnes. Le compte de son site InfoWars est lui suivi par 430.000 personnes. Quant à sa page Facebook, elle était "aimée" par plusieurs centaine de milliers d'utilisateurs. Depuis quelques semaines, l'attention s'était cependant recentrée sur Alex Jones et la pression sur les réseaux sociaux s'était accrue pour qu'ils suppriment les comptes du complotiste, régulièrement accusé d'appels à la haine.
Aux Etats-Unis, la liberté d'expression est garantie par le premier amendement de la constitution et s'entend dans un sens beaucoup plus large qu'en Europe. Les réseaux sociaux se sont donc retrouvés face à une décision complexe. Dans le cas de Facebook, certaines des publications du leader d'extrême-droite violaient clairement les règles contre les discours de haine. S'ils avaient été publiés par un inconnu, ils auraient été supprimés sans ménagement. Problème, Alex Jones est un « personnage public ». Il était donc plus difficile de prendre une décision et les messages restaient en ligne.
Preuve de l'importance de la situation, le cas est remonté jusqu'à Mark Zuckerberg, rapporte le New York Times. C'est le patron et fondateur de Facebook lui-même qui a, dimanche 5 août, acté la suppression des pages d'Infowars et d'Alex Jones pour avoir "enfreint à plusieurs reprises dans les jours précédents les standards de la communauté (les règles de Facebook)", selon un communiqué. Le jeune patron a suivi Apple qui, quelques heures plus tôt, avait décidé de supprimer les podcasts d'Alex Jones de sa plateforme iTunes.
Dans la foulée des décisions d'Apple et de Facebook, YouTube, Spotify, Pinterest ou encore le service de newsletter MailChimp ont annoncé qu'il supprimait également les comptes d'Alex Jones et de ses équipes. Aussitôt ces décisions prises, Alex Jones a dénoncé la "censure" appliquée par les plateformes.
Isolé, Twitter tente de s'expliquer
Un seul réseau social n'a pas suivi le mouvement : Twitter. Une décision que le fondateur et patron de la société a défendue dans une série de tweets le 8 août au nom du "débat public". "Nous n'avons pas suspendu Alex Jones ou InfoWars hier (lundi). Nous savons que c'est dur pour beaucoup mais la raison est simple : il n'a pas enfreint nos règles", a-t-il expliqué. "Des comptes, comme ceux d'(Alex) Jones, peuvent souvent présenter des sujets de façon sensationnaliste et diffuser des rumeurs infondées, il est donc indispensable que les journalistes examinent, valident et réfutent de telles informations directement de façon à ce que les gens puissent se faire leur propre opinion", a plaidé Jack Dorsey, refusant de "succomber aux pressions extérieures" et revendiquant l'impartialité. C'est, selon lui, "ce qui sert le mieux le débat public".
Jack Dorsey a également fait une apparition dans l'émission de Sean Hannity sur la chaîne conservatrice Fox News pour défendre cette vision et assure qu'il plaçait la liberté d'expression avant tout. Mais de nouveaux tweets d'Alex Jones et d'anciens, remontés par les utilisateurs, ont finalement poussé Twitter à suspendre le compte personnel d'Alex Jones et celui d'InfoWars pour sept jours à partir de mercredi 15 août. Les comptes de l'animateur sont encore accessibles, mais ce dernier ne peut rien publier ou partager durant sa période de suspension.
Pour défendre ces positions, Jack Dorsey, d'habitude très discret dans les médias, s'est livré à plusieurs interviews dans la foulée de ces suspensions. Il a notamment répondu au Washington Post et à la chaîne NBC. Il y a quelques jours, deux journalistes du New York Times avaient pu accéder à une réunion interne sur les limites de la modération. Une vaste opération de communication destinée à faire passer la pilule. Mais que se passera-t-il une fois qu'Alex Jones retrouvera l'usage de son compte Twitter ? Nul ne le sait. En attendant, il poursuit la mise en avant de ses idées sur son site. Preuve que l'équation ne concerne pas seulement les réseaux sociaux.