"Amazon va tuer les librairies". Ces dernières années, les libraires n'ont eu de cesse de pointer le risque de disparaître face à la concurrence acharnée du géant du e-commerce. Pourtant, à New York, à deux pas de Central Park, sur la prestigieuse place Columbus Circle, au troisième étage du centre commercial Time Warner, on tombe nez-à-nez avec une devanture sur laquelle est inscrit en gros "Amazon Books". Car depuis quelques mois, outre-Atlantique, la firme de Jeff Bezos s’est lancée dans l’ouverture de librairies d'un autre genre. La première à être située au coeur d’une grande ville a ouvert ici il y a quelques semaines. Europe 1 est allée la visiter.
Les données d’Amazon au coeur d’une librairie
Soyons honnête, avant de pénétrer dans cette boutique de près de 400m2, nous étions quelque peu dubitatifs. A quoi peu bien ressembler une librairie Amazon ? Et surtout, pourquoi celui qui a bâti toute sa réputation sur le e-commerce "s’embête-t-il" à ouvrir de vrais magasins ? Un tour du propriétaire permet de répondre à ces questions. Car, Amazon a basé une bonne partie de son magasin sur les données dont ils disposent. Premier exemple, devant l’entrée. Le premier présentoir qui nous fait face affiche clairement "Mieux notés. 4,8 et plus". Pour sélectionner les livres présentés en tête de gondole à chaque personne entrant dans sa librairie, Amazon s’est en effet basé sur les notes données par ses clients. Résultat, des thématiques très variées. Lors de notre visite, on trouve aussi bien des romans, qu’un livre pour apprendre le yoga.
Et l’utilisation des données de la firme ne s’arrête pas là. Un peu plus loin, un autre présentoir attire notre attention. Une vingtaine de livres y sont mis en avant avec cette mention : "Page turners", une expression anglaise sans équivalent français, signifiant lecture rapide (tourner les pages, littéralement). Cette sélection regroupe en fait des livres que les acheteurs sur Kindle ont lu en trois jours, ou moins. Des livres qui se lisent facilement et rapidement donc. Comment Amazon fait-il pour le savoir ? Impossible à dire. La firme elle-même a refusé de l’expliquer aux médias américains. Mais elle utilise ces données pour aiguiller les visiteurs de sa boutique vers le livre qui pourrait leur convenir.
Même constat dans une autre allée de la librairie. Amazon y a reproduit une des fonctionnalités qui a fait son succès, le fameux "Vous aimerez aussi" qui propose, sur chaque page produit, une liste d’articles qui pourraient aussi séduire le consommateur. Difficile ici de l’adapter à chaque livre, mais de manière assez visuelle, le géant du e-commerce présente trois livres qui plairont à ceux qui ont aimé un autre ouvrage. Si vous aviez aimé Milk and honey, la firme vous propose par exemple d’essayer The bones below ou The chaos of longing.
Une vitrine, plus qu’une librairie complète
Autre différence avec une librairie classique, ne cherchez pas les étagères avec des livres rangés sur la tranche. Dans les "Amazon Books", tous les livres sont présentés de face avec leur couverture. L’antenne new yorkaise présente ainsi 3.000 livres en permanence, d’après les chiffres d’Amazon. Comparés aux autres librairies et sur les 370m2 qu’occupe le magasin, c’est assez faible, mais Amazon ne cherche pas l’exhaustivité. Si un livre n’est pas en stock en magasin, les vendeurs se feront un plaisir de vous inviter à le commander en ligne, sur Amazon évidemment.
Pour le reste, les livres sont ordonnés de manière assez classique. Par thématiques, la cuisine ou la décoration par exemple, ainsi que par types, romans, science-fiction…, et par publics, moins de trois ans, adolescents… Comme dans une librairie ou un grand magasin, on trouve également une étiquette de présentation sous chaque livre. A ceci près que celles d’Amazon sont légèrement différentes des étiquettes habituelles. En plus du titre de l’ouvrage et du nom de son auteur, on trouve également le commentaire d’un lecteur ayant acheté le livre sur le site Internet, sa note globale, et le nombre de personnes l’ayant noté.
Mettre en avant l’écosystème Amazon
Dernier détail troublant sur ces étiquettes pas comme les autres, ne cherchez pas le prix, il est tout simplement absent. Et pour cause, il varie en fonction de l’acheteur. Ou plutôt en fonction de son statut chez Amazon. Les membres Amazon Prime (Premium en France) payeront en effet moins cher que ceux qui ne le sont pas. Pour connaître le montant de la facture, deux solutions : scanner le code barre présent sur l’étiquette avec l’application Amazon ou scanner le livre devant l’une des nombreuses bornes présentes dans la librairie. Et l’écart entre les deux prix est assez important. Sur les quelques livres que nous avons regardé, le tarif était inférieur d’un tiers pour les membres Prime. Évidemment, les vendeurs seront prêts à proposer un mois d’essai gratuit d’Amazon Prime pour payer le livre moins cher. Alors ces magasins sont-ils des prétextes pour pousser les clients à rentrer dans l’écosystème Amazon en devant membre Prime ? La marque s’en défend et explique avant tout "aimer les livres" pour justifier l’ouverture de ses magasins. Un peu léger tout de même.
D’autant que les abonnements Prime ne sont pas les seuls produits ou services de l’écosystème Amazon mis en avant en magasin. Pourquoi ne profiteriez vous pas en effet d’une petit passage à Colombus Circle pour aller découvrir la gamme Kindle, ces tablettes et ces liseuses électroniques particulièrement populaires ? Ou pour échanger quelques minutes avec Alexa, l’assistant intelligent d’Amazon, dont les enceintes Echo qui l’intègrent sont largement mis en avant - et en vente - dans le magasin ?
Vingt librairies d’ici fin 2017
Bref, autant que des librairies, les Amazon Books semblent être une porte d’entrée dans l’écosystème Amazon. Un mix entre librairie traditionnelle et technologie, aussi. Et la firme de Jeff Bezos ne compte d’ailleurs pas s’arrêter là. Car si le magasin de New York est le premier à être placé au coeur d’une grande ville américaine, sept autres librairies ont déjà ouverts dans le pays. Dans les mois à venir, le rythme va s’accélérer. Amazon promet en effet de disposer d’au moins vingt magasins de ce type d’ici la fin 2017. Quant à une extension dans d’autres pays, la France notamment, pour le moment silence radio. Mais il y a fort à parier que cela ne durera pas bien longtemps.