Lundi, le Sénat a adopté un amendement du gouvernement au projet de loi numérique permettant la création d'un contrat de travail spécifique aux joueurs professionnels de jeu vidéo. Une vraie reconnaissance pour le monde de l'e-sport, alors que depuis ce vendredi à Paris, se tient un des plus gros rassemblements de joueurs vidéoludiques du monde. Du 6 au 8 mai, le Zénith de Paris va en effet accueillir la finale mondiale de l'Esports World Convention pour le jeu Call of Duty - Black Ops III. Il faut dire que depuis plusieurs années, le jeu vidéo est entré dans une nouvelle dimension, notamment grâce à Internet et ses outils qui permettent aux joueurs de partager leur performance en ligne. Parmi elles, le speedrun. Voyage au cœur de ce monde qui file à toute allure.
Course au temps. Le speedrun. Derrière cet anglicisme se cache une pratique "vidéoludique" qui concentre environ 700 joueurs en France et 10.000 à l'international. Le but du speedrun est simple : finir un jeu vidéo le plus rapidement possible. Ce résultat final est appelé une "run". Et les temps atteints par les meilleurs de la discipline sont affolants. L'Américain Darbian est ainsi capable de terminer Super Mario Bros (sortie sur Nintendo en 1985) en moins de cinq minutes. Le Canadien Xelna est quant à lui capable de finir The Legend of Zelda : A Link to the Past à 100%, en 102 minutes, alors qu'il faudrait une vingtaine d'heures à un joueur lambda. C'est la vidéo et le chronomètre, inséré grâce à un logiciel à part, qui fait foi pour les temps.
"C'est comme dans un 100 mètres". Derrière cette pratique et ces temps, il y a des heures d'entraînement, parfois des bugs et beaucoup de maîtrise de la part des joueurs. Pour RealMyop, co-fondateur de la chronique Speedgame, consacrée au speedrun et diffusée pendant plus de quatre ans sur JeuxVidéo.com, cette pratique se rapproche du sport, notamment de l'athlétisme. "C'est comme dans un 100 mètres, il s'agit toujours de l'histoire d'une performance ou de records à battre", explique-t-il. "Pourquoi les sportifs veulent-ils courir plus vite ? C'est la même chose pour ces joueurs", assure RealMyop.
"Le speedrun existait déjà il y a 30 ans mais il n'y avait pas de trace de ça". L'un des premiers jeux à intégrer la composante du temps est sans doute Metroid, sorti sur NES (Nintendo Entertainment System) en 1987. Si le joueur terminait le jeu en moins d'une heure, il avait droit à une séquence où l'héroïne, Samus, abandonnait sa combinaison pour finir... en bikini. "La pratique existait déjà il y a 30 ans mais il n'y avait pas de traces de ça", indique RealMyop. "On pouvait finir un jeu le plus vite possible et envoyer des temps au magazine Player One au milieu des années 1990, mais c'est avec Internet que la pratique et la communauté vont entrer dans une nouvelle ère", raconte le joueur.
Le jeu "Quake" terminé en 11min et 29sec
La diversité du speedrun. La pratique du speedrun renvoie à des règles et des catégories bien spécifiques. Pour un même jeu, plusieurs records peuvent être ainsi établis en fonction de la manière de jouer. Si le joueur a utilisé les bugs du jeu, s'il a tué ou non des personnages adverses, s'il a terminé le jeu à 100%, etc. De plus, le speedrun répond à trois catégories bien précises, qui offrent des approches de jeu différentes.
- Le "speedrun single segment" : le joueur lance une nouvelle partie et il tente de finir le jeu le plus rapidement possible, sans faire de pause et d'un seul coup.
- Le "speedrun multi segment" : le joueur peut assembler plusieurs parties ou niveaux exécutés à des moments différents. La totalité de ce montage forme sa run. Dans cette catégorie, il n'est pas rare de trouver un speedrun effectué par plusieurs joueurs qui se sont associés, pour réussir la meilleure run possible.
- Le "tool-assisted speedrun" (TAS) : comme son nom anglais l'indique, cette catégorie renvoie à une pratique où le joueur peut s'aider d'outils, comme un émulateur amélioré ou un logiciel permettant d'effectuer des ralentis, des retours en arrière ou de créer des points de sauvegarde lorsqu'il le souhaite. En clair : exécuter des mouvements impossibles à la manette pour un humain.
Comment faire un "tool-assisted speedrun" ?
Le TAS forme ainsi un espace de recherche qui, s'il n'est pas pratiqué par tous les joueurs, offre une mine d'informations pour les speedrunners. Kilaye, "tasseur" depuis début 2013, explique l'intérêt de la catégorie : "le TAS permet de présenter un temps théorique minimal pour terminer le jeu. (...) Les runners regardent ensuite les techniques et routes qu'on a utilisées, pour essayer de les reproduire". Dans cette catégorie, pas de classements ou de compétition, les TAS livrent surtout des données précieuses aux joueurs qui travaillent sur un jeu en particulier.
"Entrer en contact avec des gens de la communauté". La communauté est primordiale dans le monde du speedrun. "Les communautés de speedrunners sont toutes très accueillantes et sont ravies de partager ce qu'elles savent", affirme DrammHud, 24 ans, 10ème mondial dans la catégorie "Any%" (on peut finir le jeu par tous les moyens possibles) du jeu Dishonored. DrammHud a dû apprendre les techniques, regarder les autres speedrunners faire, échanger, puis finalement travailler lui-même. "J'ai passé environ 1.500 heures sur Dishonored et j'estime que j'ai publié ma première run au bout de 500 heures d'entraînement", se remémore-t-il.
UnderscorePoY, 21 ans, s'est spécialisé dans Pokémon. Il a runné plusieurs jeux de la série, de Pokémon Cristal jusqu'à Pokémon Or, où il est premier mondial dans deux catégories (en pouvant utiliser les bugs du jeu, et sans). "La première étape, c'est la familiarisation. Prendre son temps avec le jeu si on ne le connaît pas", décrit-il. "Et en parallèle, regarder des runs du jeu en question, essayer de s'intéresser aux mécaniques, entrer en contact avec des gens de la communauté", poursuit UnderscorePoY.
Même si des classements existent, l'entraide est bien présente entre joueurs et, de fait, la publication d'une vidéo avec un nouveau temps minimal dévoile les améliorations possibles pour la concurrence.
Depuis le 9 avril, la communauté française est ainsi mobilisée autour de L'Utlime décathlon. "Il s'agit d'une compétition où plus d'une centaine de joueurs doivent apprendre et finir, le plus vite possible, dix jeux", indique RealMyop, commentateur de l'événement. Un bon moyen de sensibiliser la communauté autour d'un événement particulier et de séduire de nouveaux adeptes.
Le jeu "Super Meat Boy" terminé en 19min et 25sec
Le quotidien du speedrunner. Speedrunner prend du temps. Pour un TAS de Final Fantasy VI, Kylale estime avoir passé 500 à 600 heures sur le jeu. "Je l'ai fait avec une autre personne, on a travaillé six mois dessus". A l'époque, le joueur était encore en étude dans les sciences biomédicales, il speedrunnait surtout le soir, "entre 19h et 21h, ainsi que les week-ends".
Mais le temps passé sur un jeu dépend surtout de l'activité du joueur et de son envie. "En période de chômage je peux largement passer 10 heures par jour sur un jeu s'il me plaît. Des fois, rien ne m'inspire, donc je fais autre chose", confie ainsi DrammHud, actuellement au chômage. Du côté d'UnderscorePoY, vendeur dans une boucherie, le temps passé à speedrunner est également variable. "En général, je travaille de 13h à 20h donc je run le soir, de 21h30 à minuit, parfois jusqu'à quatre heures. Certains jours libres, il m'arrive de me lever et de runner jusqu'au soir. Mais d'autres jours, je ne fais rien en lien avec le speedrun", raconte-t-il.
"Peut être que certaines personnes font du speedrun dans l'optique d'avoir le meilleur temps immédiatement, ce qui était mon cas quand j'ai débuté", se rappelle UnderscorePoY. "Mais on se rend compte assez vite que c'est avec la communauté et les échanges d'idées que le speedrun avance".