"Je m’abonne à la newsletter". Quiconque a déjà passé quelques minutes sur le site Internet d’un candidat à la présidentielle a vu s’afficher une fenêtre avec ce message lui demandant de partager son adresse mail et son code postal. Un geste en apparence anodin, mais à l’enjeu important. L’objectif pour les candidats ? Avoir le maximum de contacts dans leur base de données pour pouvoir, ensuite, communiquer avec eux. Et pour y arriver, les candidats utilisent de véritables "machines de guerre" conçues pour encourager au maximum l’internaute à s’engager dans la campagne.
Ces "machines de guerre" s’appellent NationBuilder ou Liegey Muller Pons. La première, américaine, est née en 2009 des enseignements de la campagne de Barack Obama sur l’importance du numérique pour la mobilisation politique. Elle propose aux candidats des outils pour créer leurs sites Internet et encourager les internautes à s’engager. La seconde, française, analyse les données des précédents scrutins pour optimiser, notamment, les actions de porte à porte, mais aussi mieux communiquer avec les soutiens. De Jean-Luc Mélenchon à François Fillon en passant par Emmanuel Macron, elles sont au cœur de la campagne des candidats à la présidentielle.
L’enjeu de la collecte de données
Tout commence une fois son mail renseigné. Sur les sites de François Fillon ou de Jean-Luc Mélenchon, qui utilisent tous deux les services de NationBuilder, "les données récoltées sont envoyées dans la base de données du candidat et un profil est créé pour chaque personne", explique à europe1.fr, la responsable de la start-up en Europe, Toni Cowan-Brown. Au départ, la fiche du soutien est mince. Elle ne contient que son nom, son prénom et son adresse mail. Mais tout au long de la campagne, celle-ci sera complétée avec les centres d’intérêts, le montant d’un potentiel don ou même le niveau d’engagement de chaque contact. "L’idée, c’est de créer un profil détaillé sur la manière dont la personne s’engage dans la campagne. Par exemple, si on appelle un soutien ou qu’on le rencontre, on enregistre les informations qu’il nous donne", détaille Toni Cowan-Brown.
Toutes les données récoltées sont regroupées dans un seul et unique fichier accessible aux équipes de campagne. Certains, comme Alain Juppé lors de la primaire de la droite, permettent aussi aux militants de chaque région de rajouter des informations sur les soutiens qu’ils rencontrent lors d’opérations de tractage. De là à imaginer un outil "à la big browser" laissé en accès libre sans véritable contrôle, il n’y a qu’un pas pointent certains. Une affirmation réfutée par NationBuilder. "L’idée n’est pas de prendre des informations privées à droite et à gauche. Ne figurent dans la base de données que ce que les soutiens nous disent", assure l’entreprise.
Ces informations servent ensuite à mieux cibler la communication. "On ne permet pas à nos clients d’envoyer un même mail à toute leur base de contacts", prévient Toni Crown-Bron, "ce serait contre-productif". Tout se fait en fonction des centres d’intérêts. Un soutien s’étant déclaré intéressé par l’économie recevra ainsi un mail sur le programme économique du candidat. Celui qui est passionné par la culture ne saura même que ce mail a existé un jour. Le ciblage peut aussi varier en fonction du code postal, pour annoncer un meeting par exemple. "Il vaut mieux envoyer une information à une soixantaine de personnes intéressées qu’à toute la base de contacts et perdre des abonnés", explique la start-up qui annonce en exemple un taux de désabonnement aux mails de 0,03% sur une campagne lors du Brexit. Un chiffre extrêmement bas.
Du big-data politique pour s’orienter
Et pour obtenir tous ces contacts, Internet n’a pas remplacé le sacro-saint porte à porte. Le numérique a en revanche largement modifié la façon de l’organiser. C’est l’apanage de la start-up française Liegey Muller Pons, du nom de ses trois cofondateurs. Celle qui se définit comme une société de "communication d’influence" analyse les résultats des précédentes élections pour détecter les quartiers où les candidats et militants ont intérêt à faire du porte à porte.
"C'est l'application du big data à la politique. A partir, notamment, des résultats électoraux des 65.000 bureaux de vote de France et grâce à un algorithme nous analysons ces données en les mettant en lien avec d’autres", explique Fabrice Rivière, responsable de Cinquante Plus Un, le logiciel développé par l’entreprise. Les données peuvent par exemple être comparées a l’évolution du taux de chômage, le taux d’abstention ou encore le niveau de richesse.
Toutes les analyses de la start-up se font à l’échelle des bureaux de vote, mais le logiciel est suffisamment précis pour aiguiller les militants dans les bons quartiers. "Quand un candidat à une quinzaine de militants dans une ville, il peut par exemple décider de se concentrer sur ceux qui votent dans tel ou tel bureau car la proportion de gens que l'on peut y convaincre est la plus forte", détaille Fabrice Rivière. En fonction des zones géographiques, la proportion d’électeurs que l’on peut convaincre "peut varier du simple au quintuple".
Un porte à porte 2.0
Les utilisateurs de Cinquante Plus Un retrouvent les analyses de la start-up dans le logiciel et ont ensuite la possibilité d’organiser le porte à porte. "On peut créer des parcours qui partent par exemple du point le plus bas du quartier avec un chemin précis". Les militants disposent également d’une application sur leur smartphone grâce à laquelle ils peuvent retrouver cette feuille de route et faire remonter les informations dans la base de données de contacts de leur candidat en temps réel. "Cela évite que des données se perdent en route", assure-t-on chez Liegey Muller Pons.
Cette solution a notamment été utilisée par Emmanuel Macron pour la "grande marche" qui devait permettre de faire un "diagnostic de l’état du pays". Dans ce cas précis, les données ont été utilisées de manière différentes. "L'idée n’était pas d’aller dans des quartiers pro-Macron, mais dans des quartiers représentatifs de la population française. Nous ne sommes donc pas partis des profils des militants de Macron, mais des données de l’Insee et du recensement".
Et l’utilisation de ces outils numériques a de nombreux avantages pour les candidats. "Plus de 25.000 questionnaires ont été remplis lors de la grande marche d’Emmanuel Macron et ça n’aurait tout simplement pas été possible de les traiter à la main", analyse Fabrice Rivière. De son côté, NationBuilder explique que grâce à ses outils, le nombre de contacts d’un candidat est multiplié par entre quatre et dix durant la campagne. Un enjeu de taille dans la course à l’Élysée.