"C’est dingue." La communication de Facebook France en revient à peine… Plus de 900 personnes se sont inscrites pour la conférence de Yann LeCun, le Chief scientist of AI research de Facebook (FAIR), autrement dit, celui qui supervise tous les travaux de Facebook dans l’intelligence artificielle. Ce Français de 57 ans, qui travaille depuis New York, où Facebook dispose d’un laboratoire de recherche, est de passage en France quelques jours à l'occasion de l'annonce d'importants investissements dans l'Hexagone du célèbre réseau social. Europe 1 l’a rencontré.
Comment définiriez-vous l’intelligence artificielle ?
Il y a plusieurs définitions et ça change avec les années, mais il s’agit de la capité des machines à reproduire des fonctions que l'on attribue habituellement aux humains et aux animaux. Par le passé, jouer aux échecs ou planifier un chemin sur une carte avec un GPS c'était de l’intelligence artificielle, de l'IA comme on l'appelle, maintenant c'est simplement un algorithme. Depuis ces dix dernières années, l'intelligence artificielle est étroitement reliée à l'apprentissage automatique, donc à la capacité des machines à apprendre.
On parle beaucoup d’intelligence artificielle en ce moment, pourtant ça existe depuis des années…
Oui, l'expression a été inventée il y a presque soixante ans, au milieu des années 50. Ça s’est développé avec des hauts et des bas. Il y a eu des vagues d'intérêt pour des techniques un peu différentes. Ça a commencé avec les réseaux de neurones artificiels. Mais depuis 2010-2012, ce qui a relancé l’intérêt, c’est l'avènement de l'apprentissage profond, le deep learning, qui permet aux machines d'apprendre sans être directement programmées, par exemple à reconnaître des images, ou des mots…
Concrètement, qu’est-ce que cela permet ?
Ces techniques sont déjà utilisées par toutes les entreprises technologiques. Il y a beaucoup d'applications que l'on ne voit pas directement pour le moment, mais ce que l’on trouve par exemple sur Facebook ou dans les résultats de recherche sur Google repose sur le deep learning. Il est possible, par exemple, de reconnaître les éléments présents dans une image. L’intelligence artificielle permet aussi de traduire les publications depuis une langue que vous ne comprenez pas directement dans une langue que vous connaissez. Vous pouvez sous-titrer les vidéos automatiquement pour que les utilisateurs puissent les regarder sans le son. Dans le fil d’actualité de Facebook, ça permet de déterminer les informations de vos amis ou d’autres sources qui peuvent le plus vous intéresser. Et cela peut aussi créer des descriptions textuelles d'image pour permettre aux non-voyants d'avoir une idée du contenu des images.
Et il y a aussi des applications dans la santé ou les transports…
Oui, avec des usages qui vont transformer la société de manière assez profonde. Pour la vie de tous les jours, dans les voitures autonomes, les caméras pourront, grâce à l’intelligence artificielle, interpréter les éléments qu'elles voient. Dans les systèmes de diagnostic médical ou d'imagerie médicale, elle permettra d'accélérer les diagnostics et de les rendre plus faibles. Il sera par exemple possible de détecter les tumeurs de manière plus fiable que si l’homme le faisait. Ça permettra aux médecins de se concentrer sur les cas difficiles.
Vous dites souvent que l’on est "très loin d'avoir créé des machines vraiment intelligentes", pourtant quand on vous écoute vous nous dites qu’elles sont capables de dépasser l’homme...
Les machines dépassent l'humain dans certains cas à condition que les domaines soient très étroits. On peut faire des machines qui conduisent les voitures au moins aussi bien que les humains, en tout cas de manière plus fiable. On a des systèmes qui, à partir d'une image, peuvent reconnaître l'espèce d'un oiseau ou l'espèce d'une plante simplement avec la forme des feuilles. Donc ça, ça dépasse les capacités de la plupart des humains, en tout cas des gens qui ne sont pas entraînés. Mais aucune de ces machines n'a d'intelligence générale. Aucune n'a un certain bon sens. Dans certains cas, les machines vont pouvoir répondre à des questions dont on n’imagine même pas la réponse... Peut-être que la réponse est quelque part dans Wikipedia, mais elles seront en revanche incapables de répondre à des questions très simples qui nécessitent une connaissance du monde. On a des idées pour résoudre cela, mais même si le progrès conceptuel arrive demain, il faudra dix ans pour arriver à faire marcher cette technique et dix ans pour qu'elle s'intègre dans des applications concrètes.
Facebook vient d’annoncer dix millions d'euros d'investissements en France dans son laboratoire FAIR Paris. Pourquoi miser sur la France ?
Globalement, Facebook accélère ses investissements dans l'IA, et particulièrement en France. Tout d'abord parce qu'il y a un terreau de talents en Europe continentale avec beaucoup de jeunes chercheurs très doués et qui, jusqu’à présent, partaient à l'étranger. Et puis FAIR Paris a également eu beaucoup de succès depuis son ouverture il y a deux ans. Certaines technologies qui y ont été développées jouent maintenant un rôle important dans les logiciels de Facebook, notamment une qui permet sur une liste de dix milliards d'images, en quelques fractions de secondes, laquelle ou lesquelles sont les plus proches de celle que l'on vient d'envoyer.
Mais l'intelligence artificielle fait peur, même chez certains grands noms de la Silicon Valley. Elon Musk, le patron de Tesla, disait il y a peu que l'IA pourrait mener à la troisième guerre mondiale. Alors est-ce qu'on doit se méfier ? Est-ce que l'on doit en avoir peur ?
Non, on ne doit pas en avoir peur. Comme toute technologie, elle peut être utilisée à des fins positives ou négatives. Elle ne va pas causer la troisième guerre mondiale, en revanche il est très possible qu'elle soit utilisée dans une guerre future. Avec un collectif de scientifiques dont je fais partie nous avons d'ailleurs alerté les gouvernements pour qu'ils se posent la question de l'IA et des armes autonomes. Mais la plupart des organisations militaires du monde s’interdisent l'usage de ce type de technologie. Maintenant, il y a aussi un fantasme à la Terminator de l'intelligence artificielle qui veut dominer le monde, ça, ça n'inquiète personne chez les gens qui sont vraiment impliquées dans la recherche. Car même si on arrivait à construire une machine vraiment intelligence, on ne construira pas en elle tous les aspects de la nature humaine, la volonté de dominer fait partie de la nature humaine, mais pas de celle des orangs-outans qui ne sont pas des animaux sociaux et qui sont pourtant presque aussi intelligents.