Cet été, les suicides de plusieurs soignants, dont au moins cinq infirmiers, avaient mis en lumière une souffrance grandissante dans le milieu hospitalier. Début novembre, divers syndicats représentant l’ensemble des corps de métiers des hôpitaux avaient également appelé à une grève d’une ampleur rare dans le secteur, pour dénoncer les conditions de travail. Lundi, la ministre de la Santé Marisol Touraine leur a répondu, dévoilant un plan d'action baptisé "prendre soin de ceux qui soignent". Est-il à la hauteur des attentes ? Eléments de réponse.
Le plan : des fonds et de nouvelles structures de dialogue. Premier élément du plan : le déblocage d’une enveloppe de 30 millions d'euros, qui servira au déploiement, sur trois ans, de services de santé au travail, intégrant psychologues, conseillers en prévention des risques professionnels et assistants sociaux, dans chaque Groupement hospitalier de territoire (GHT).
Un observatoire national de la qualité de vie au travail et des risques psychosociaux verra également le jour. Présidé par un expert et regroupant "l'ensemble des parties prenantes", il devra proposer des orientations stratégiques, "en s'inspirant d'expériences de terrain et d'initiatives étrangères", a expliqué la ministre. Un médiateur national, chargé notamment de traiter les conflits qui n'auraient pas trouvé de solution sur un plan local, sera par ailleurs "prochainement" nommé. Un guide des risques psychosociaux sera distribué au personnel.
Une charte de l'accompagnement des professionnels lors de restructurations devra être adoptée dans chaque établissement et des entretiens individuels annuels seront "systématisés" pour les paramédicaux et "instaurés" pour les médecins "afin de faire le point sur leur vécu professionnel, leur parcours et leur carrière. Enfin, une concertation doit s'ouvrir avec les organisations syndicales pour "adapter le régime indemnitaire et mieux valoriser" les astreintes.
" On ne pouvait pas s’attendre à des annonces concrètes "
"Ce plan enclenche une dynamique", selon certains. Les syndicats en sont conscients : à cinq mois de la présidentielle, Marisol Touraine ne pouvait se permettre d’engager des réformes trop profondes, avec le risque de les voir annulées par la future majorité.
"On ne pouvait pas s’attendre à des annonces concrètes. On ne s’attendait pas à une remise en cause du plan de trois milliards d’économie ni à l’annonce de 150.000 créations de postes", reconnaît auprès d’Europe 1 Max-André Doppia, le président de l'intersyndicale Avenir Hospitalier, qui représente les praticiens. "Mais l’important, c’est que cela enclenche une dynamique qui n’existait pas. Il va y avoir un réel espace de dialogue, en dehors des liens hiérarchiques, à travers lequel les professionnels vont pouvoir faire remonter leurs revendications", optimise ce médecin urgentiste.
Max-André Doppia regrette, toutefois, que certains pans du malaise et de ses causes n’aient pas été abordés. "Il y aurait pu avoir davantage de concret sur la médecine du travail. Aujourd’hui, 50% des postes de médecins du travail ne sont pas pourvus. Et le personnel hospitalier se sent seul. La plupart des médecins d’hôpitaux n’ont même pas de médecins traitants, ils se soignent eux-mêmes. Or, ils ont besoin de quelqu’un pour leur dire : prenez soin de vous !", détaille-t-il. Et d’enchaîner : "J’aurais, enfin, souhaité que la ministre affirme un principe de ‘tolérance zéro’ envers la violence. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’agressivité à l’hôpital".
" Il y a beaucoup d’incohérences dans ce plan "
Il est "infaisable" ou "incohérent", selon d’autres. Contactée par Europe 1, Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI), émet un avis encore plus "mitigé". "Il y a des éléments pertinents. Mais où sont les financements ? Les instances de dialogues annoncées existaient déjà auparavant. Elles ont été supprimées pour des raisons budgétaires. C’est la même chose pour la médecine de travail ou la formation des cadres. Il y a beaucoup d’incohérences dans ce plan", tacle-t-elle. Et de conclure : "quant à l’enveloppe de 30 millions, elle est totalement en décalage. Elle va servir à accompagner ceux qui sont en souffrance aujourd’hui. Mais elle ne s’attaque pas au malaise qui monte chez les autres. Il faudrait s’attaquer aux causes du problème. Et notamment que l’on arrête d’enlever du monde sur le terrain".
Citée par l'AFP, la secrétaire générale de la fédération santé de la CGT, Mireille Stivala, émet carrément un "sérieux doute sur la faisabilité" du plan en fin de quinquennat. Elle dénonce surtout l'absence de "réponse concrète au manque cruel d'effectifs" dans les hôpitaux. L’ensemble des organisations syndicales n’exclue pas, aujourd’hui, de poursuivre la mobilisation. Pour la CNI et l’intersyndicale CGT-FO-SUD, une grève est même envisagée début 2017.